Luc Brunet – 29 Octobre 2024
Mon dernier article a été publié il y a déjà 8 mois, fin février 2024. Une si longue période de silence est assez rare de ma part, et est principalement due à la nécessité de laisser le temps faire son œuvre. Seul le temps rend les tendances plus visibles et permet de confirmer ou non nos attentes.
Ce qui s’est passé pendant ces 8 mois n’a rien apporté de nouveau à ma réflexion. Les analyses que j’ai publiées ici ou sur ma chaîne Telegram sur l’évolution lente mais imparable du monde n’ont pas été démenties par les événements, ni même mises en doute.
Mes pires prévisions, au contraire, semblent de plus en plus probables à mesure que le temps passe, alors que les dirigeants occidentaux continuent de vivre dans le déni et dans une hystérie croissante.
Opportunités manquées en 2024
Le monde occidental a eu quelques occasions d’arrêter ou au moins de ralentir le train qui se dirige maintenant vers le désastre.
Aux États-Unis, les élites politiques du pays et les oligarques au pouvoir auraient pu trouver le moyen de proposer des candidats raisonnables et compétents pour les élections de novembre. Mais après quatre ans de gouvernement sénile, les Américains doivent désormais choisir entre une dame incapable d’articuler une seule phrase logique entre deux éclats de rire, et un affairiste, ressemblant en fait plus à un vendeur de voitures d’occasion qu’à un politicien de génie. Tout cela dans le contexte de pratiques de décompte des voix très suspectes.
En Europe, les populations ont clairement indiqué leur volonté de mettre un terme aux politiques suicidaires actuelles, privant la région de l’énergie vitale bon marché en provenance de Russie, et leur désir de se débarrasser du régime antidémocratique de la Commission européenne. Mais dans tous les cas, la démocratie s’est révélée faussée. Comme aux États-Unis, les deux principaux partis du Royaume-Uni mettent en œuvre la même politique, et en France et en Allemagne, tout est fait pour nier le choix du peuple, et garantir que les politiques actuelles continuent d’être mises en œuvre, quels que soient les souhaits des électeurs.
La course entre espoir et désespoir
Comme je l’ai écrit il y a longtemps, le combat en cours entre le vieux monde occidental et le jeune monde du Sud se déroule désormais au grand jour, et les enjeux sont si élevés des deux côtés qu’aucun des deux ne peut se permettre de perdre. J’espérais donc que l’Occident s’effondrerait ou changerait de cap avant que la lutte politique ne puisse conduire à une confrontation militaire généralisée. Malheureusement, il apparaît désormais clairement que les élites occidentales sont prêtes à tout pour sauver leurs privilèges.
Comme un sanglier blessé, ces élites ont atteint un niveau sans précédent d’agressivité verbale, souvent combinée à une agressivité physique. Vous souvenez-vous de ministres ou de responsables gouvernementaux il y a 20 ou 30 ans utilisant des termes comme ceux utilisés par Ben Gvir, Biden ou Clinton ?
- En février 2024, Biden a qualifié Poutine de «fils de pute fou». Imaginez Roosevelt disant cela publiquement à propos de Staline…
- Clinton a comparé les réunions électorales de Trump aux rassemblements nazis. Imaginez Mitterrand dire cela à propos des réunions de Chirac…
- Ben Gvir a déclaré à propos des prisonniers palestiniens : « Ce sont des ordures, ce sont des meurtriers, ce sont des animaux humains, ils ne devraient pas être libérés – ils devraient recevoir une balle dans la tête dans un pays bien géré ». Imaginez Margaret Thatcher disant cela à propos des mineurs britanniques dans les années 70 (meme si elle le pensait, elle a au moins gardé ça pour elle)…
Dans une grande partie du monde, tout est noir ou blanc et il n’y a pas de place pour les négociations ou les compromis. En 2022, l’Ukraine et la Russie étaient sur le point de s’entendre sur un compromis entre les deux nations slaves sœurs, mais l’OTAN a stoppé le processus, l’objectif étant d’affaiblir la Russie. Maintenant que la Russie est en train de gagner (et cela était prévisible pour quiconque connaît un peu la réalité russe), les élites occidentales ne peuvent plus reculer et chercher un accord. Ils vont escalader.
L’escalade est la seule option acceptable pour eux, qui vivent dans une bulle et sont absolument convaincus qu’ils ont raison et qu’ils sont également plus forts que n’importe quel adversaire.
Mais en fait, comme l’explique l’écrivain François Martin, l’opposition entre l’Occident et le Sud global n’est pas un simple désaccord sur le type de société que nous voulons développer, mais sur le sens de la vie de chacun, sur les valeurs personnelles en quelles nous croyons. Il s’agit bien plus qu’une fracture entre « démocratie » et « autoritarisme ». Cela explique le fait que les deux mondes sont incompatibles et ne peuvent coexister.
L’évolution de la manipulation humaine
Comme indiqué dans un article publié en 2021, « La troisième guerre mondiale est déjà là! », la manipulation de l’opinion publique a commencé à jouer un rôle important dans notre vie après la large alphabétisation des populations, et s’est depuis lors régulièrement améliorée avec l’invention de la radio, Télévision, et plus récemment Internet. On connaît les effets d’une telle manipulation, fondée sur la propagande (on peut appeler cela des fake news) ou parfois, plus efficace encore, sur l’absence d’information, rendue possible lorsque tous les médias officiels appartiennent à quelques oligarques.
Combinée à une tendance générale, essentiellement occidentale, à promouvoir principalement les valeurs individuelles et de consommation, nous constatons également une indifférence croissante à l’égard des pertes de vies humaines.
Si l’on considère le récent conflit au Moyen-Orient, il est impressionnant de constater l’indifférence totale de l’Occident à l’égard des dizaines de milliers de civils tués à Gaza. Le même phénomène s’est produit dans le Donbass il y a quelques années, bien entendu à une échelle moindre. Dans le même temps, personne ne réagit aux opinions horribles exprimées par des responsables (pas des ados blogueurs, mais des ministres ou des parlementaires) encore une fois à Kiev ou à Tel-Aviv, désignant leurs opposants comme des sous-hommes ou des animaux qui devraient être éliminés, des personnes âgées aux bébés. De tels discours de haine ont rarement été entendus, voire jamais, depuis 1945, mais ils sont de retour aujourd’hui.
Même si certaines parties de la population occidentale comprennent que les temps changent et que leurs pays sont du mauvais côté de l’histoire, je doute sérieusement que les populations aient le courage physique de se battre pour l’avenir de leurs enfants (qu’ils font de moins en moins d’ailleurs) et s’opposer à l’élite mondialiste. Mon principal espoir d’éviter un désastre général était de voir les foules occidentales imposer un changement de système, mais je crois malheureusement de moins en moins que c’est une issue possible. La dernière chance pourrait être le résultat des élections américaines de la semaine prochaine. Non pas à cause de la vertu des candidats, mais à cause des événements qui pourraient suivre les élections, qui pourraient cibler l’élite mondialiste dans son noyau.
Si cela ne se produit pas, une nouvelle escalade est très probable, et la seule question est de savoir jusqu’où elle ira.
Quatre fronts au moins
Comme mentionné dans des articles précédents, le front ukrainien n’est que le premier d’un certain nombre de fronts, tous à l’ordre du jour des États-Unis afin de maintenir, voire de développer, leur domination internationale.
Tous les fronts se situent autour des puissances continentales menées par la Russie et la Chine:
- Israël vs l’Iran : l’un des valets les plus agressifs de la puissance hégémonique américaine contre un allié de la Russie/Chine, cela ne peut être plus clair
- Taiwan vs Chine : un autre valet américain, bien que plus raisonnable qu’Israël, face à la plus grande économie mondiale et l’un des leaders du Sud global
- Corée du Nord vs Corée du Sud : c’est la première fois que j’évoque ce front la, mais il est désormais réactivé, notamment après la signature d’un traité de coopération entre la Russie et la Corée du Nord
Pour être complet, d’autres fronts peuvent également être activés, comme par exemple :
- Albanie contre Serbie : également un proxy entre l’Occident et le reste du monde
- et bien sûr les pays qui risquent de se retrouver pris dans une extension du conflit ukrainien, comme la Moldavie, la Pologne, les pays baltes ou la Finlande.
Guerre mondiale délocalisée
Personne ne peut prédire ce qui va se passer, mais considérons quelques points essentiels pour comprendre les enjeux.
La dissuasion nucléaire russe joue un rôle clé, car tous les acteurs comprennent que la Russie a 10 à 15 ans d’avance dans la technologie des missiles hypersoniques et des systèmes antimissile. Cela signifie que le noyau dur de la partie occidentale, les États-Unis, est et restera très prudent pour éviter un conflit nucléaire direct avec la Russie. Les États-Unis sont habitués à mener des guerres à l’étranger et sont très préoccupés par tout risque pour leur propre territoire. Cela joue un rôle important dans toutes les décisions en temps de guerre. Cela signifie également que les États-Unis vont se retirer de toute situation dans laquelle ils pourraient risquer une frappe directe de la Russie. Le terme «n’importe quelle situation» est important et des pays comme Israël, la Pologne ou la Finlande devraient y prêter attention.
À moins que les États-Unis ne changent radicalement de cap après les prochaines élections, nous devrions voir les évolutions suivantes:
- en ex-Ukraine, on assiste désormais à une progression régulière des troupes russes et des villes importantes devraient être libérées dans les prochaines semaines. L’OTAN sera bientôt à la place du perdant et elle ne pourra pas y survivre, d’où une hystérie croissante et des tentatives d’escalade supplémentaire. Mais en Europe, la Russie est l’adversaire direct, et nous pouvons nous attendre à ce que les États-Unis évitent tout risque dans cette région. Il faudra demander aux Européens de prendre tous les risques et les dirigeants actuels de l’UE, totalement incapables de penser en termes de meilleur intérêt de leurs pays et de leurs citoyens, pourraient prendre de tels risques. Les conséquences pourraient être importantes, et l’Europe pourrait perdre quelques sites clés à cause d’attaques de missiles (pas nécessairement nucléaires), mais mon point de vue est que les États-Unis ne devraient pas escalader plus loin, et vont utiliser le vieux truc : « si vous ne pouvez pas vous défendre seuls, ne prenez pas cela personnellement, mais nous rentrons à la maison ».
- Au Moyen-Orient, l’armée israélienne réussit à tuer des masses de civils, mais elle est en difficulté au sud du Liban, perdant chaque jour des hommes et des chars. Le temps joue contre Netanyau et son seul espoir est d’impliquer directement les États-Unis. En cela, il est exactement comme Zelensky : incapable de gagner seul, mais incapable d’impliquer les États-Unis. Même impasse pour les deux politiciens et les deux pays.
- À Taiwan et en Corée du Sud, nous pouvons nous attendre à ce que les États-Unis prennent davantage de risques, puisque le principal adversaire est la Chine et que la Russie pourrait être moins encline à s’impliquer. Cependant, si les deux camps concluent des alliances militaires plus formelles, le risque de voir la Russie directement ou indirectement impliquée augmente. Le récent accord signé entre la Russie et la Corée du Nord va dans ce sens.
Dans l’ensemble, de moins en moins d’obstacles empêchent une confrontation militaire plus généralisée, mais limitée à un certain nombre de points chauds où tous les acteurs stratégiquement importants (États-Unis, Russie, Chine, Iran – et non, l’UE n’est pas dans la liste) peuvent garder suffisamment de contrôle sur la situation pour éviter un duel nucléaire direct. Tout le reste est possible, et ceux qui paieront le prix fort seront les petits pays utilisés comme proxy. Regardez ce qui reste de l’Ukraine pour comprendre.