Luc Brunet – 5 Aout 2023
Cet article développe un certain nombre de points que j’avais écrit il y a 6 mois dans mon article « 2002 : les masques sont tombés »
A cette époque, j’ai fait la remarque que la structure géopolitique mondiale que nous voyons s’effondrer n’est pas seulement la structure qui a été mise en place après la Seconde Guerre mondiale, avec une domination totale des États-Unis sur l’économie mondiale, les arènes militaires et politiques. En effet, ce que nous voyons est la fin d’une période beaucoup plus longue qui a commencé au XVe siècle, lorsque les Européens ont commencé à développer des marines puissantes, capables de transporter de grandes quantités de produits et de personnes, de manière relativement sûre et sur de très longues distances.
Une telle capacité de construction navale a permis à des pays axés sur la mer comme la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal et la France de projeter leur puissance à travers les mers et les océans, ce qui était impossible auparavant, lorsqu’une telle projection se limitait à la navigation le long des côtes comme autour de la mer Méditerranée ou de la Océan Indien.
Elle a donné à ces pays une puissance nouvelle et redoutable, et une richesse colossale, faisant d’eux les maîtres incontestés du monde, et ce pendant plusieurs siècles.
Colonisation 1.0
Je ne discuterai pas des vertus ou des vices de la colonisation en elle-même. La colonisation des populations par des envahisseurs existait bien avant le XVe siècle et n’est qu’une forme de lutte pour la survie où le plus fort asservit le plus faible. Discuter du bon ou du mauvais côté des humains n’est pas mon objectif dans cet article.
En regardant les faits, nous pouvons voir que deux types de colonisation se sont développés au XVe siècle et plus tard. Un type, principalement le fait des colonisateurs britanniques, deboucha sur l’anéantissement presque total des populations locales existantes. Ce fut bien sûr le cas en Amérique du Nord, en Australie et d’une certaine manière en Nouvelle-Zélande. Ces régions ne peuvent donc pas être considérées comme d’anciennes colonies, mais simplement comme de nouveaux pays, dont l’histoire et la démographie sont reparties à zéro il y a quelques siècles. La Couronne britannique n’a pas suivi une telle politique en Inde ou en Afrique, et je n’ai pas fait de recherche sur les raisons de cela, mais je pense que les principales raisons sont liées à une trop grande population en Inde, et à une population essentiellement pacifique en Afrique, pouvant donc être facilement « exploitée » en tant que travailleurs, comme le prouvera plus tard la migration forcée et massive d’esclaves vers l’Amérique afin de construire ce nouveau pays.
Les pays latins comme la France eurent une approche plus modérée et n’ont pas (ou ne purent pas si vous êtes pessimiste quant à la nature humaine) exterminer les habitants et ont créé des colonies pures, les locaux vivant à côté des colons, parfois en bonne harmonie. Nous voyons aujourd’hui des tendances à condamner le colonialisme comme le pire péché sur terre, avec des appels semi-hystériques pour s’excuser, mettre un genou à terre et cracher sur l’homme blanc dominant. C’est ridicule quelques siècles plus tard, et c’est ignorer le fait que l’esclavage n’a pas été, et de loin, inventé par les hommes blancs. En plus de cela, l’esclavage des Noirs en Amérique était déjà important lorsque les États-Unis sont devenus indépendants, ce qui signifie que la Grande-Bretagne et, d’une manière ou d’une autre, la France l’ont initié, et devraient donc être les premiers à payer des compensations. Les wokes britanniques et français qui prônent la mode du genou à terre ne doivent pas oublier ce détail.
Certaines facettes du colonialisme sont d’ailleurs relativement positives, la population locale bénéficiant d’une meilleure éducation, de soins de santé et de nouvelles possibilités de croissance. Cela ne s’applique bien sûr pas au style de colonialisme britannique mentionné ci-dessus, et les survivants des Amérindiens et des Aborigènes peuvent le confirmer.
L’Afrique du Nord sous gestion française ou l’Amérique latine sous gestion espagnole/portugaise sont de bons exemples de ces côtés positifs du colonialisme du XIXe siècle, avec des villes modernes entières construites, de nouvelles méthodes de production et d’agriculture introduites, etc. Bien sûr, le résultat a été une certaine forme d’exploitation des ressources de pays colonisés, mais l’échange n’était pas à sens unique pour de nombreux pays.
Rappelons que l’Argentine, ex-colonie espagnole, s’est bien développée et avait un revenu par habitant en 1910 supérieur à celui de la France. Après la Seconde Guerre mondiale, le pays tombe sous l’influence des États-Unis et d’organismes internationaux comme le FMI et son économie sera détruite. Certains pays aujourd’hui devraient d’ailleurs non seulement rêver d’une économie « start-up », mais aussi tirer des leçons de l’Argentine sur la façon dont un pays peut perdre sa position et devenir pauvre en quelques décennies.
Colonisation 2.0
Après la fin de la colonisation proprement dite que j’ai appelée 1.0, tous ces pays sont devenus indépendants dans la seconde moitié du XXe siècle, mais en fait ils ne sont jamais devenus vraiment indépendants économiquement, et c’est ce que j’appelle la colonisation 2.0.
Les anciennes puissances coloniales ont continué à exploiter leurs ex-colonies, non plus en tant qu’États dominants, mais à travers leur secteur d’activité économique. Les États ont continué à être présents militairement dans de nombreux cas, officiellement pour assurer la paix (et la sécurité des investisseurs privés), mais aussi pour éviter des changements de gouvernance vers un développement économique plus indépendant et autonome. Le statu quo et la domination des entreprises occidentales devaient être préservés, au besoin par la force. En quelques mots, la diplomatie de la canonnière a été remplacée par la diplomatie des services secrets.
De nombreux exemples peuvent être cités de dirigeants politiques arrivés au pouvoir dans les ex-colonies, prônant une gouvernance souveraine et refusant la domination et l’exploitation de leurs ressources par des sociétés étrangères. Juste pour en nommer quelques-uns:
- Mosaddegh en Iran
- Lumumba au Congo
- Sankara au Burkina Faso
- Saddam Hussein en Iraq
- Gaddafi en Libya
- Allende au Chili
Tous ont été assassinés, souvent sous l’accusation d’être « communistes » ou trop proches des intérêts soviétiques, un alibi facile pendant la guerre froide.
Tous prévoyaient de devenir vraiment indépendants et de garder les bénéfices de leurs ressources naturelles à l’intérieur de leur pays. Inacceptable!
Le bilan de décennies d’indépendance pour les pays africains est épouvantable. La pauvreté n’a pas régressé, la corruption a été acceptée par les dirigeants occidentaux (parfois pas sans bénéfices, souvenez-vous des diamants de Giscard d’Estaing !…), les infrastructures n’ont pas été développées. Le résultat du colonialisme 2.0 est en fait bien pire que celui du colonialisme 1.0 !
Si vous avez lu mon article « la Russie de leurs rêves », il est clair que les États-Unis et l’Europe prévoyaient de faire de la Russie quelque chose de similaire à l’Afrique : un vaste espace divisé en de nombreux pays, souvent artificiels, avec des entreprises occidentales exploitant les ressources naturelles, envoyant la grande majorité des bénéfices en dehors de la Russie.
Fait intéressant, certains expatriés que j’ai rencontrés dans les années 90 appelaient la Russie «l’Afrique blanche».
Février 2022: le reset
Pour la plupart des ex-colonies, et plus précisément en Afrique, le système d’exploitation néo-colonial n’a été vraiment remis en cause sauf par certaines personnes de la liste ci-dessus. La peur les empêchait de changer de politique.
Mais la peur s’est dissipée en février 2022, lorsque de nombreux dirigeants dans le monde ont réalisé que la Russie disait simplement non à la domination occidentale et était prête à répondre à la force par la force, et plutôt avec succès comme l’a démontré l’année et demie écoulée.
La peur a disparu et le soutien de la Russie et de la Chine est réel, pas un bluff. La Chine et la Russie sont toutes deux respectées et dignes de confiance par les Africains, qui souvent ne considèrent pas les Russes comme des Blancs. La Chine elle-même est d’ailleurs un pays qui a été partiellement colonisé et qui a beaucoup souffert sous la domination européenne. En lire plus sur la guerre de l’opium…
La Russie et la Chine sont les étoiles montantes en Afrique. L’Europe ne peut pas lutter économiquement à cause de la Chine et ne peut pas combattre militairement à cause de la Russie (ou de l’Afrique Blanche), et encore moins maintenant qu’une grande partie des stocks d’armes a été envoyée au secours de Kiev.
Oui, une période de 500 ans est en phase terminale. Malheureusement, une action militaire est aussi hautement probable en Afrique de l’Ouest.