Luc Brunet – 15 juin 2021
Les événements de mai à Gaza ont remis le conflit local entre Israël et le territoire de Gaza à la une de tous les médias.
Ce conflit même est d’ailleurs une autre illustration de l’opposition radicale qui s’est développée entre les groupes et les individus, comme je le disais dans mon précédent article ‘La 3ème guerre mondiale est dejà là!’ J’ai quand même décidé d’écrire cet article sur un sujet très délicat.
Je n’essaierai pas d’expliquer la situation et ce qu’il faut faire pour la résoudre. Personne ne peut sérieusement le faire dans un simple article, et quelques livres peuvent ne pas suffire de toute façon.
Ce que je voudrais faire ici, et surtout après avoir lu des tonnes de commentaires passionnés sur le sujet, c’est simplement de rappeler quelques points clés qu’il ne faut pas négliger lors de l’évaluation de la situation et avant de s’emballer dans un soutien inconditionnel d’un côté ou de l’autre. Comme toujours, rien n’est noir ou blanc, mais les nuances ne sont pas très utilisées sur les médias et les forums d’aujourd’hui.
Tout d’abord, examinons la situation politique à Gaza. Depuis 2007, le groupe Hamas dirige les territoires de Gaza, après une période de coopération avec le Fatah, et après un court conflit militaire qui s’est terminé par l’expulsion du Fatah de la bande de Gaza, depuis lors contenu en Cisjordanie, ou Judée et Samarie, en utilisant l’ancien nom biblique de la région.
Il y a une différence majeure entre le Fatah et le Hamas. Le Hamas est un groupe dérivé du mouvement des Frères musulmans. Il s’agit d’un groupe clairement islamique, prêchant l’utilisation des lois islamiques dans la société. Même si elle est trop simpliste, la comparaison peut être faite avec ISIS et d’autres groupes menant leur «Jihad ». Ici, nous devons nous arrêter et poser quelques questions.
– Pourquoi le Hamas a-t-il pu se développer sans l’intervention d’Israël ?
Cette question est intéressante et le point de vue de nombreux observateurs est qu’Israël a joué un jeu dangereux, en copiant beaucoup la politique américaine au Moyen-Orient, qui pendant des décennies a été de soutenir et d’encourager les mouvements islamiques à lutter contre des régimes qui n’étaient pas assez coopératifs pour soutenir les intérêts politiques et économiques des États-Unis. Talibans, Al-Qaïda, etc. pour ne citer que quelques exemples, tous se retournant après un certain temps contre leurs ex-sponsors.
Israël a soutenu le Hamas il y a 20 ans pour affaiblir le Fatah. Cela a d’abord fonctionné et la scission en 2007, comme discuté ci-dessus, entre Gaza et la Cisjordanie a été considérée comme bénéfique par Israël. Entre-temps, le Hamas a gagné en force et en influence et tient maintenant à expulser le Fatah de Cisjordanie également, et les récentes attaques contre Israël ont été conçues pour montrer aux électeurs de Cisjordanie que le Hamas était assez fort pour combattre Israël et s’opposer à l’expansion des colonies israéliennes là-bas.
Les attaques n’ont jamais eu pour but de gagner une guerre contre Israël, mais seulement de gagner le cœur de la Cisjordanie. C’est fait, et les fusées ne volent plus – les stocks sont épuisés de toute façon.
– qui finance le Hamas?
De nombreuses sources affirment que l’Iran est la principale source de financement du Hamas, bien que d’autres sources pensent que la plupart des financements proviennent de pays dirigés par les Frères musulmans, ou par des groupes liés à cette idéologie. J’ai tendance à croire que la deuxième version est la plus probable, et que des pays comme la Turquie, mais plus important encore, le Qatar sont la principale source de financement du Hamas. Le Qatar accueille d’ailleurs également le leader du Hamas en exil, Ismaïl Haniyeh. L’Iran soutient probablement d’une manière ou d’une autre, mais il est difficile de croire que l’Iran et le Hamas puissent vraiment coopérer sur le long terme, car la plupart des Palestiniens de Gaza sont sunnites et non chiites comme l’Iran. L’Iran n’a qu’un seul véritable partenaire à long terme dans la région et c’est le Hezbollah libanais, également un groupe chiite.
– le Hamas est-t-il une bonne chose pour les Palestiniens?
Cette question est également délicate, mais en regardant les antécédents d’organisations similaires dans d’autres pays, je dirais certainement que le Hamas ne peut apporter aux Palestiniens que des lois de type moyen-âgeuses et des conditions de vie terribles. Une crise comme celle du mois dernier est typique, où le Hamas a tiré des roquettes sur Israël, sachant très bien que cela apporterait la mort et la destruction à Gaza, sans aucune perspective de victoire, en dehors d’une victoire politique pour le Hamas. La vie des autres Palestiniens n’intéresse pas le Hamas. Mourir sous les bombardements israéliens est une bénédiction et le paradis est garanti. Les vues et les phrases habituelles utilisées par ISIS tant de fois.
Enfin une victoire complète du Hamas en Cisjordanie ne serait certainement pas une bonne nouvelle pour les 8 ou 10 % de Palestiniens chrétiens qui y vivent. Si vous voulez vous faire une idée, regardez ce qui est arrivé aux chrétiens syriens qui vivaient dans les régions contrôlées par l’Etat islamique.
Dans une seconde étape, quelques faits doivent être pris en compte en ce qui concerne Israël lui-même.
Je soutiens le point de vue de beaucoup en Israël selon lequel les dirigeants du pays ont pris de nombreuses mauvaises décisions au cours des 30 dernières années, s’alignant complètement sur les États-Unis. Bien sûr, il y a de nombreuses raisons derrière ce mouvement, mais de nombreux résultats négatifs découlent de cet alignement, comme:
– une forte dépendance vis-à-vis des Etats-Unis pour l’approvisionnement en armes. De nombreux équipements sont fournis gratuitement, également un moyen pour les États-Unis de générer des revenus pour leur complexe militaro-industriel. C’était bien sûr pratique pendant de nombreuses années, mais l’armée israélienne (IDF) est maintenant complètement dépendante de la technologie américaine pour les systèmes d’armes. Dans le passé, Israël a conçu et fabriquait ses propres equipements par exemple des avions de chasse, mais cette période de véritable indépendance est révolue et tout changement significatif de la politique américaine (non exclu aujourd’hui, mais pas à court terme) pourrait mettre en péril la sécurité du pays.
– l’alignement sur la politique américaine au Moyen-Orient a également conduit l’élite politique israélienne à croire que l’utilisation de groupes islamiques comme armes contre les régimes qu’ils n’aiment pas est légitime et acceptable. Le cas mentionné ci-dessus, où Israël a initialement utilisé le Hamas contre le Fatah en est un exemple. Plus récemment, Israël et les États-Unis ont tous deux soutenu directement ou indirectement l’ISIS ou, comme ils disaient pour etre plus politiquement corrects, des « islamistes modérés », afin d’éliminer Assad. Un islamiste modéré sonne comme «stalinien libéral» ou «nazi tolérant», mais peu importe, les journalistes occidentaux ont acheté cette formule. Pour éliminer Assad, Israël a pris le risque d’avoir un grand et puissant califat à sa frontière orientale. À y regarder, cela ressemble à un comportement suicidaire. Peut-on croire que les groupes religieux sont moins dangereux parce qu’ils passent leur temps à prier ?
A cet égard, on peut considérer qu’Israël a été sauvé par la Russie et… l’Iran, Assad et le Hezbollah. Cela semble fou? oui, mais réfléchissez-y à deux fois. Le Moyen-Orient est un endroit fou, où vos ennemis peuvent vous sauver et vos amis vous poignarder dans le dos.
– Israël a permis le développement de partis religieux juifs extrêmistes qui développent des arguments violents contre les Arabes et les musulmans. De tels groupes ont peu à voir avec la politique solide et légitime d’Israël pour assurer sa sécurité, et contribuent à l’escalade globale dans la région. Comme dans de nombreux pays, ces mouvements extrêmes ont utilisé l’instabilité politique pour gagner en crédibilité et accéder aux positions gouvernementales.
– enfin, mais c’est un point très important, les Palestiniens vivant dans les territoires israéliens depuis des décennies sont remarquablement silencieux, du moins dans les médias occidentaux. Il y a une raison simple à cela. Ils vivent de loin beaucoup mieux que les Arabes dans les pays à tendance islamique. Ils ont accès à tous les niveaux d’emploi, les femmes peuvent vivre comme elles le veulent, conduire, travailler, se baigner en bikini et aucune police islamique ne les poursuit. Ils sont calmes et leur seule crainte est peut-être la montée en puissance des partis juifs extrémistes, et à coup sûr de tomber sous la domination d’un pouvoir comme le Hamas/ISIS.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, ce qui précède parle principalement de faits, ne propose pas de solutions ni n’accuse une population ou un groupe ethnique. Comme dans toutes les guerres du passé, les populations sont des victimes et des instruments utilisés par les politiques pour atteindre leurs objectifs. La plupart des Israéliens sont nés dans le pays et c’est leur pays, leur sol, leur histoire (et d’ailleurs, le Temple juif a été construit sous la mosquée Al-Haqsa et environ 1600 ans plus tôt !). De l’autre côté, le peuple palestinien, même s’il n’a jamais formé un pays, y a vécu pendant des siècles et devrait pouvoir vivre dans la dignité, protégé à la fois des extrémistes juifs et de l’extrémisme musulman comme le Hamas.
Les solutions extrêmes proposées par les fanatiques des deux côtés ne sont pas réalistes et surtout proclamées à des fins politiques, tant dans la région qu’autour de la région. Prétendre que tous les Juifs doivent être poussés à la mer est aussi stupide et improductif que prétendre que tous les Palestiniens doivent quitter la région pour toujours. Nous ne pouvons qu’espérer que l’Iran et la Syrie adoptent une position plus réaliste sur Israël. Et ceci dit, la seule puissance capable d’aider la region est aujourd’hui la Russie.
Quoi qu’il en soit, les Occidentaux criant leur soutien au Hamas devraient comprendre qu’ils n’aident pas le peuple palestinien, mais soutiennent un groupe fanatique religieux plus proche de Daech qu’autre chose, soutenu par le Qatar, un pays qui soutient également des groupes musulmans etremistes au sein des communautés de migrants en Europe. L’histoire peut être surprenante, mais on ne peut rien en attendre de bon. Rien.