Luc Brunet – 28 janvier 2020
Après plusieurs mois de silence, cette Lettre revient sur la situation en France, ou le mouvement des Gilets Jaune n’a pas perdu de sa force, et a depuis décembre 2019 été encore amplifié avec le support des syndicats traditionnels. Ce support n’est pas vraiment volontaire ni planifié de la part des Gilets Jaunes, dont les objectifs et mentalité sont très différents de ceux des syndicats, mais le résultat visible n’en est pas moins une augmentation de l’intensité des manifestations et du mouvement lui-même.
Alors qu’une issue négociée des différents conflits sous-tendant cette révolte vieille déjà de plus de 14 mois semble de moins en moins probable, une fracture de plus en plus grande se creuse entre les élites d’une part et une bonne partie de la population (une majorité de Français soutiennent toujours le mouvement). Ce papier s’efforce d’expliquer les raisons de cette fracture, même si cette fracture s’est développée de manière encore plus complexe entre groupes dans la population du pays, chacun ayant une position passablement tranchée sur les sujets essentiels de la vie en société.
Je traiterai dans ce papier de trois groupes relativement bien identifiés dans la population française. Cette division en trois groupes a déjà été discutée dans des articles tiers, et je ne suis pas à l’origine de ce modèle, mais vais tenter de le décrire, en particulier en utilisant ma modélisation 3D – voir la-dessus ma lettre « La Politique en 3D ». Pour rappel, cette modélisation utilise trois aspects et donc dimensions de la perception de la vie sociale et économique.
Le première dimension mesure le refus ou l’acceptation des principes de l' »eco-libéralisme », ou en d’autres termes la priorité donnée aux intérêts privés par rapport aux intérêts des populations et des structure de protection sociales. La second dimension mesure le niveau de « socio-libéralisme », c’est a dire le degré d’acceptation ou de refus des valeurs familiales traditionnelles, et la position des groupes au sujet de thèmes tels que la théorie du genre. Finalement, la troisième dimension est liée au degré d’attachement ou de rejet de l »internationalisme », mettant au rancard les notions de Nation, Patrie ou de racines culturelles.
Comme tout modèle, cette analyse des opinions socio-economico-patriotiques des groupes d’individus est une simplification du paysage réel, mais est cependant bien plus réaliste que la traditionnelle division gauche-droite, qui on le voit de plus en plus n’a plus de véritable signification en 2020.
Le premier groupe que nous allons discuter est constitué par ce que l’on appelle souvent les « élites » politiques, culturelles, journalistiques et économiques, ainsi que les personnes qui soutiennent ces élites et espèrent que le régime et principes de gouvernance actuels resteront en place ou même rendus encore plus libéraux et internationalistes.
Appeler ce groupe « les élites » serait une erreur, car ces élites ne sont qu’une fraction de ce groupe, qui comprend en majorité ce que l’on peut appeler une bourgeoisie ultra libérale, internationalisée, fascinée par la toute puissance des marches financiers, vivant dans le centre des grandes villes, tout en se sentant très « ecolo ». J’utiliserai un terme un peu malmené et utilisé à tord et à travers, mais qui, a bien y réfléchir convient bien a ce groupe : les Bourgeois Bohèmes, les Bobos. Le monde Bobo a développé un mélange de mentalité petite bourgeoise mettant ses intérêts financiers avant toute autres considérations (souvent avec une perspective à très court-terme), de dédain profond pour les groupes plus pauvres, moins cultivés ou plus provinciaux, de mépris pour toutes les traditions Françaises populaires, le tout complété par une admiration pour les cultures étrangères et même une fascination pour le monde musulman, et d’un discours écologique « vert » agressif, même si ils sont les premiers a vanter les bienfaits de la mondialisation ou a s’offrir une croisière pour « décompresser ». Ce groupe a également une propension claire a dénigrer toutes les valeurs familiales traditionnelles et a vouloir les remplacer par une société basée sur la « théorie du genre ».
Si l’on utilise le modèle mentionné plus haut, ce groupe Bobo sera positionné de la façon suivante, sur une échelle de 1 a 10:
– Socio-libéralisme – 10
– Eco-libéralisme – 8 ou 9
– Internationalisme – 10
Un retour sur les origines du groupe Bobo est également intéressant. Les grandes tendances du groupe se sont définies et renforcées depuis en gros les années 60. Beaucoup de personnes dans ce groupe ont été dès leur jeunesse très attirés par des valeurs étrangères aux traditions Françaises ou européennes, avec une attirance pour les religions asiatiques. On se rappellera les escapades des hippies a Katmandou ou encore de l’épisode Bobo par excellence de Lennon et Yoko Onno, restant au lit pour protester contre la société, et photographiés alors qu’une femme de chambre refaisait leur lit!
Ce mépris des traditions et de la culture françaises sont apparu il y a de nombreuses années, avec comme conclusion un Président Français – Macron – déclarant que la Culture Française n’existe pas. Son penchant pour les soirées africo-transsexuelles a l’Élysée, même si anecdotiques, soulignent les caractéristiques du groupe Bobo, partagées avec les élites dirigeantes du pays.
Une grande partie des Bobos habitent Paris (majorité de célibataires, plus de 50% n’ayant pas de voiture), et dans les grande villes du pays. Le phénomène Bobo est essentiellement urbain, et sur ces bases on peut estimer que leur nombre est de quelques millions seulement.
Il est aussi important de comprendre qu’une large partie du groupe Bobo vit dans l’illusion de faire vraiment partie de l’élite du pays. La grande majorité des cadres, cadres supérieurs, petits entrepreneurs, professions libérales sont en fait de plus en plus menacés par les excès neo-libéraux. Même si leur situation est encore très confortable aujourd’hui, la situation de leurs enfants commence a se dégrader. La reforme des retraites, sans doute une erreur fondamentale des Macronistes, a d’ailleurs réveillé certain membres de cette bourgeoisie Bobo, et leur a fait comprendre que leur vieillesse risquait d’être plus difficile que prévu. Le sous-groupe des Bobos qui sont l’élite réelle du pays sont bien sur les « très riches » – je reviendrai dans une lettre a venir sur ce qu’il faut comprendre par « très riches » – et également, phénomène typique de tradition Française, les Élites politico-affairistes, les Enarques de type Macron, naviguant entre la politique et le milieu des affaires, gagnant d’un coté beaucoup d’argent, et d’un autre coté une influence sur les affaires publiques bien utile aux « très riches », sans parler d’une immunité souvent bienvenue.
Le second groupe s’est également développé depuis une trentaine d’années, mais a beaucoup et rapidement évolué depuis 10 ou 15 ans. C’est le groupe des migrants mal ou pas du tout intégrés, résidant essentiellement dans les banlieues de grandes villes. L’évolution récente est due a une montée en force de l’islam intégriste, qui était totalement absent des banlieues françaises dans les années 60 et même 70. L’influence et le financement des pays du Golfe ont largement contribué à cette évolution, combinée avec un laxisme de plus en plus évident de la part des élites politiques. L’arrivée en masse de migrants depuis quelques années, a considérablement accéléré cette évolution, et créé une exacerbation des problèmes déjà complexes de la relation des Migrants avec le reste de la population.
En revenant à notre modèle a trois dimensions, le groupe Migrant peut être mesuré comme suit:
– Socio-libéralisme – 0 ou 1
– Eco-libéralisme – peu mesurable
– Internationalisme – 1 ou 2
Les chiffres ci-dessus méritent une explication. Le niveau très bas au sujet du socio-libéralisme est facile a comprendre, vu l’attitude très machiste et anti-LGBT de ce groupe, dont beaucoup d’individus sont issus de pays ou les droits des femmes sont très réduits et ou les homosexuels sont méprisés et parfois menacés de mort. Le niveau d’Eco-libéralisme est presque impossible à estimer, la plupart des migrants étant très éloignés de ce genre de question, même si leur pays d’origine est souvent très peu intégré au commerce international. Leur niveau d’Internationalisme est très bas quand il s’agit de leur pays d’origine, bien que ce même internationalisme les arrange bien quand il s’agit de justifier leur arrivée en France.
Le troisième et dernier groupe est celui du reste de la population française, en majorité provincial et compose de groupes sociaux très divers, agriculteurs, employés, ouvriers, petits entrepreneurs, fonctionnaires etc.
Ce troisième groupe est bien sur le plus nombreux et de lui est issu le mouvement des Gilets Jaunes, ainsi que la plupart des leaders médiatiques de ce même mouvement. De par sa taille et sa variété, le positionnement de ce groupe dans notre modèle est délicat, et le groupe est moins cohérent que les deux groupes précédents. Le niveau d’internationalisme du groupe est relativement bas, une grande partie de ses membres se considérant victime des délocalisations successives de ces dernières décennies. Ce sentiment d’abandon par un État plus prêt des sphères financières que des habitants du pays, est renforcé par un sentiment croissant dans les régions loin de Paris, d’être de plus en plus abandonnés par l’État, a la suite d’une régression constante du niveau des services publics depuis au moins 30 ans: fermeture des lignes de chemins de fer secondaires, fermetures d’écoles, de bureaux de Poste, de maternités et hôpitaux etc. J’appellerai ce groupe les Majoritaires, en référence à leur grand nombre.
Le coefficient d’Eco-libéralisme est également faible, et pour ces mêmes raisons. Quant au niveau de socio-libéralisme, il est a mon sens assez moyen, les populations de provinces étant tolérantes, tout en étant très éloignées des discours de la théorie du genre. Ils ont en fait d’autres préoccupations que de théoriser sur le sexe des anges….
Pour ce troisième groupe, je risquerai les estimations suivantes:
– Socio-libéralisme – 5
– Eco-libéralisme – 2-3
– Internationalisme – 2-3
Le plus intéressant est d’analyser les relations entre ces trois groupes, qui clairement sont très différents de par leur mode de vie, leur comportement, leurs préoccupations ou encore leur problèmes quotidiens.
La relation entre le groupe des Bobos et celui des Migrants est a mon sens le plus intéressant. Ces deux groupes ont en effet très peu de choses en commun, et bien qu’habitant à quelques kilomètres l’un de l’autre, semblent vivre sur deux planètes différentes. Mais en fait je pense que les deux sont aujourd’hui des alliés objectifs. La base principale de ce jugement peut être surprenante, et est essentiellement économique.
En effet les Migrants ont de tout temps été attirés en France pour des raisons économiques. Dans les années 60, on parlait de manque de main d’œuvre, aujourd’hui on parle de manque de main d’œuvre à bon marché. Notez au passage la montée du cynisme des élites. Cette synergie économique se retrouve à plusieurs niveaux:
– les Bobos utilisent une main d’œuvre moins chère sous la forme de « domestiques » souvent venant du groupe des Migrants. De la femme de ménage au gardien de sécurité, les Migrants qui veulent travailler vont souvent travailler dans les beaux quartiers des grandes villes
– pour la masse des Migrants qui ne travaillent pas, la manne étatique, donc décidée et organisée par les élites Bobo, est régulière et généreuse. Les assistés dont parle Macron vivent plus souvent dans les banlieues que dans les campagnes. Un rapport récent de la DGSI parle de 150 quartiers en France qui ont de facto échappé à la loi et au contrôle de la République. Ces quartiers reçoivent cependant un assistanat financier très coûteux, sans parler des prestations gratuites. En effet, ces quartiers sont quasiment fermés à la Police, donc on imagine mal des agents EDF/GDF aller réclamer leur du et débrancher des compteurs. Tout est donc payé par les impôts, avec l’accord tacite des élites Bobos
– une autre synergie économique existe sur fond des trafics de drogues divers, qui sont depuis longtemps, avec les prestations sociales, la seconde source de revenus des « quartiers ». Même si quelques Majoritaires peuvent consommer un peu de cannabis de temps à autre, il est clair que les principaux utilisateurs de drogues « chiques » du genre cocaïne ne sont pas dans les rangs des ouvriers et employés, mais plutôt chez les Bobos, qui ont les moyens financiers correspondant.
Les groupes Bobo – Migrants sont donc très dépendants l’un de l’autre. Si les allocations sociales sont supprimées ou plus sérieusement réglementées, les quartiers Migrants plongent dans la misère. L’intérêt des Bobos est donc de maintenir le status quo, sachant que des Migrants en colère n’iraient pas piller les maisons de Majoritaires, mais plutôt les résidences du 16ème ou de Neuilly. Ce status-quo est cependant en train de mal tourner, avec une islamisation conservatrice accélérée des « quartiers », qui se transforment en petits califats de banlieue. Encore une fois , la DGSI estime que 150 quartiers sont « hors contrôle » en France, autour des grandes villes et dans certaines zones ayant un taux d’émigration élevé depuis longtemps, par exemple dans la région Rhône-Alpes. L’opposition Bobo-Migrants est donc destinée à devenir explosive d’ici peu, vu les valeurs complètement opposées que les deux groupes défendent.
La relation entre Bobos et Majoritaires à été neutre pendant de longtemps, mais s’est considérablement dégradée depuis une dizaine d’années. Le mouvement des Gilets Jaunes est le résultat direct de cette dégradation, avec une prise de conscience accélérée de la réalité de la situation de la part des Majoritaires, grâce notamment aux réseaux sociaux. D’une manière intéressante, le mythe des Gilets Jaunes incultes et obtus a volé en éclat lors de multiples échanges télévisés entre certains ministres ou députés et des représentants de ces Gilets Jaunes. Une belle illustration de la thèse développée par Emmanuel Todd – comme chacun sait un de mes auteurs favoris -selon laquelle l’enseignement supérieur génère depuis quelques années de plus en plus d’idiots diplômés. Écoutez les interviews de certains ministres si vous avez encore un doute.
Enfin, la relation entre Migrants et Majoritaires est relativement neutre et ils se côtoient peu. Les Majoritaires sont cependant conscients qu’une partie de leurs impôts sert a fournir des allocations aux Migrants, mais la majorité d’entre eux en accuse les Bobos, avec raison du reste. Une partie des Migrants se reconnaît dans les Gilets Jaunes et se bat avec eux, nous rappelant au passage que les modèles ne fournissent pas une vérité valide partout et pour tous, mais décrivent plutôt une tendance moyenne. Beaucoup de migrants bien integrés sont par exemple plus dans le groupe des Majoritaires que dans celui des Migrants, tels que ces groupes sont definis dans notre modèle.
Que peut on prévoir pour la France dans les années 20?
Un groupe de Bobos très minoritaires, vivant dans une bulle de confort menaçant d’exploser, un groupe de Migrants coupés de la société Française, et devenant des Djihadistes potentiels, et un groupe beaucoup plus important en nombre de « Majoritaires », de toutes origines et niveaux sociaux, s’informant et s’organisant de mieux en mieux: quelles sont les chances pour une issue paisible à cette situations?
A mon avis ces chances sont très faibles. On peut bien sur imaginer une retombée du mouvement des Gilets Jaunes, et une nouvelle paix sociale, sans doute acquise par la force de répression. Mais l’évolution du groupe Migrant et sa position par rapport aux valeurs Bobo ne vont pas s’améliorer, bien au contraire. Le conflit potentiel entre Migrants et Majoritaires a aussi bien des chances de se développer, et générer de nouvelles tensions. Cette situation, conséquence de nombreuses années de négligence, démission, fuite en avant et autres trahisons de l’intérêt national, a selon moi peu de chances de finir dans le calme. Le conflit actuel, axé sur l’antagonisme Bobo-Majoritaire est déjà quasiment insurrectionnel, mais le conflit a venir, entre Migrants et les autres groupes sera bien plus violent et profond.
Le conflit a venir arrivera à mon avis en deux vagues. La première avec une lutte déjà commencée entre Majoritaires et Bobos, avec une victoire des Majoritaires après une défection d’une partie du groupe Bobo. La seconde vague sera cependant encore plus dangereuse, avec un conflit direct entre Majoritaires et Migrants. Si la première lutte sera faite pour la qualité de vie, la deuxième sera plus radicale, car elle se fera pour la survie des valeurs spirituelles et des personnes physiques.