Luc Brunet – 8 novembre 2018
Les lecteurs réguliers de cette Lettre comprennent bien que la grande majorité de mes sujets se limitent à l’analyse d’événements et de tendances sociales, économiques ou géopolitiques.
La présente lettre contiendra cependant aussi les résultats de mon fantasme sur ce qui pourrait arriver dans le monde au cours des prochaines années. Je n’oserais pas l’appeler prévision ou anticipation, alors appelons ça de la fantaisie, même si celà n’a rien de drôle…
Bien que certains de ces scénarios puissent sembler un peu pessimistes, ou trop tordus pour être vrais, je continue de croire qu’ils sont possibles (ou probables pour certains d’entre eux), vu le niveau d’irritation des élites occidentales, incapables d’imposer leurs vues et système de gouvernance à des pays comme la Chine et la Russie, nous le savons tous. Un autre aspect social intéressant est l’évolution que l’on peut observer depuis longtemps déjà, dans la façon dont les gens interagissent entre eux, et ce depuis l’élite jusqu’aux populations.
Les postures de confrontation sont devenues un standard de facto au cours des dernières décennies dans les relations internationales, et le premier exemple dont je me souvienne est le fameux « Empire du Mal » utilisé par Ronald Reagan à propos de l’Union soviétique. De tels termes n’avaient jamais été employés auparavant dans la diplomatie des temps modernes. Le troisième Reich ne s’appelait pas ainsi avant la guerre, même dans la presse occidentale, trop heureuse de voir la défaite du communisme en Allemagne et en Italie. Mais depuis Reagan, ce ton est régulièrement utilisé par la diplomatie occidentale et en particulier américaine, un ton rappelant plus les slogans des films hollywoodiens que la diplomatie bien élevée.
George Bush aimait pointer du doigt les ‘États voyous’ ou les ‘Axes du mal’, et un Obama plus hypocrite déclarait en 2015 que l’Etat islamique était le ‘visage du mal’, tout en soutenant l’Etat islamique dans ses plans ratés pour se débarrasser de Hassad en Syrie.
Tout cela a atteint un nouveau sommet avec l’élection de Trump à la Maison Blanche, un homme peu diplomate si il en est. Pouvez-vous imaginer De Gaulle ou Kennedy qualifiant les pays en développement de ‘pays de merde’?
Cette tendance au manque de respect et aux termes violents se répand à tous les niveaux de l’élite politique et médiatique. Qui se souvient encore d’Hillary Clinton à qui on a demandé ce qui s’était passé en Libye, secouée d’un rire vicieux et disant « nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » ? Regardez les déclarations récentes des politiciens américains, suggérant que frapper Trump avec une batte de baseball serait juste ? Sans parler des appels à l’assassinat. Macron disant qu’il aime « emmerder » les non-vaccinés est un exemple plus récent, mais pas plus reluisant!
Tous ces signaux sont donnés par l’élite et ne sont pas sans signification ni impact sur la façon dont les gens réagissent aux événements. Le niveau d’intolérance augmente très rapidement. Cela peut sembler étrange dans une société où la ‘tolérance’ est louée comme la valeur universelle et l’idéologie à suivre. Vous devez être tolérant lorsque des migrants viennent dans votre ville ou lorsque la sexualité LGBT est enseignée à l’école. Mais dans la vie de tous les jours, la tolérance diminue et les gens ont de plus en plus de mal à écouter même des opinions qu’ils ne soutiennent pas entièrement.
Exprimer son soutien aux valeurs familiales ou traditionnelles fait de vous un fasciste et la discussion s’arrête. Exprimer de la sympathie pour les valeurs socialistes ou communistes fait de vous un coco qu’il faut faire taire pour le bien des marchés. A tous les niveaux de la société, les arguments raisonnables et le bon sens ont perdu leur valeur. Il reste des groupes qui s’affrontent et vivent dans leur bulle.
Le phénomène Facebook l’illustre très bien. Après la Crimée en 2014, John-The-Facebooker a supprimé tous ses amis soutenant (même faiblement) la position russe. Après l’élection de Trump, il a supprimé tous les partisans de Trump, puis a supprimé toutes les personnes fatiguées de l’histoire LGBT. John est maintenant avec moins d’amis, mais ils peuvent se réconforter et se dire qu’ils ont vraiment raison et que tous les autres sont des connards à frapper avec des battes de baseball. Le même schéma s’applique bien sûr dans l’autre sens, pour les amoureux de Trump, les haineux LGBT et les trolls russes !
Faites attention aux mots et au langage corporel de nombreux politiciens, leaders d’opinion, journalistes. Essayez de détecter le niveau de gentillesse qu’ils communiquent. Dans la plupart des cas, pas grand-chose. Mais l’égoïsme, le narcissisme, l’intolérance et l’ambition illimitée sont là dans la plupart des cas. Revoyez les vidéos de Maxine Waters ou Hillary ! Sinon, regardez Sarkozy ou Macron !…
Une confusion supplémentaire et des sources de conflit viennent du fait que le simple paradigme droite contre gauche n’existe plus. Comme détaillé dans une précédente Lettre (Politique 3D), de nombreuses personnes ont une opinion sectaire sur trois grands paramètres : 1) économie libérale ou contrôlée, 2) vie sociale libérale ou traditionnelle et 3) État souverain ou internationalisme. À titre d’exemple simple, Orban le hongrois est pour l’économie contrôlée, la vie sociale traditionnelle et l’État souverain. Bolsonaro le brésilien est pour l’économie libérale, la vie sociale traditionnelle et l’internationalisme. Les deux ne sont guère compatibles, mais les deux sont qualifiés de fascistes par beaucoup dans la presse et le public.
Maintenant, à quoi faut-il s’attendre ? Rien de bien bon.
L’élite occidentale actuelle n’accepte pas de perdre ou même de partager le leadership mondial. Les coupables ont été désignés depuis longtemps, la Chine et la Russie étant les ennemis nommés. Je n’invente rien ici, il suffit de lire ce qui est écrit et d’écouter ce qui est dit.
Certains parlent d’une troisième guerre mondiale à venir et de la possibilité d’une confrontation nucléaire terminale. Je ne crois cependant pas que cela se produise (sauf par accident), car le risque pour l’élite est trop élevé, d’être rôti comme des gens simples ou de passer le reste de sa vie dans un bunker souterrain de luxe, une perspective pire que d’être rôti pour les personnes un peu claustrophobes comme moi !
Je crois que nous verrons la poursuite et la multiplication des guerres locales où les États-Unis et certains de leurs alliés affrontent indirectement la Russie et la Chine. Les régions à risque sont celles où les conflits passés n’ont pas été totalement résolus, ou où les dirigeants locaux entrent en conflit direct avec les dirigeants occidentaux, qui peuvent être identifiés comme des forces commerciales multinationales plutôt que comme des gouvernements, ceux-ci ayant perdu l’essentiel de leur pouvoir. Le commerce en termes autres que le dollar américain est par exemple considéré comme un risque pour l »ancien »système, car il réduit le flux de liquidités vers les États-Unis pour soutenir le style de vie américain.
J’ai dit multiplication des guerres, car les populations en Occident commencent à être moins disciplinées et refusent de supporter le système actuel. Les résultats des élections récentes dans l’UE sont significatifs, comme en Hongrie. Les élites actuelles doivent détourner l’attention vers de nouveaux conflits si elles veulent retarder la fin de leur monde…
Moyen-orient
C’est ici que s’est déroulée la guerre proxy la plus évidente, en Syrie, mais il en va de même pour l’Irak ou encore l’Afghanistan, le Yémen et bien sûr la Libye. Il est visible que l’Occident est intéressé par un conflit de longue durée en Syrie et ne fait rien pour soutenir un arrêt complet des opérations de guerre. On peut s’attendre à d’autres provocations, y compris des tentatives de déstabilisation du Liban. L’Arabie saoudite poursuivra sa guerre sanglante au Yémen, et l’émotion autour de l’affaire Kashoggi a ete vite oubliée. Une confrontation directe entre l’Arabie saoudite et l’Iran n’est cependant pas probable, car les risques d’expansion incontrôlable du conflit (y compris de grandes destructions en Israël) sont trop élevés pour être soutenus par les États-Unis et l’UE.
Ukraine
La plaie est toujours ouverte depuis 2014, et pousser Kiev à attaquer le Donbass et à provoquer la Russie est probablement une option. Une attaque contre la Crimée est moins probable, car ce serait une attaque frontale contre la Russie. Mais garder une guerre imminente aux portes de l’UE est une bonne stratégie pour attirer l’attention de la population européenne.
Balkans
Ici encore, nous avons un vieux conflit qui a été initié avec un soutien actif de l’UE, en particulier de l’Allemagne, et comme l’Ukraine est un rappel des anciennes frustrations des régions qui se sont battues aux côtés des nazis pour arrêter le communisme. Une déstabilisation du Kosovo, de l’ARY de Macédoine n’est pas exclue, car elle créerait une nouvelle source de peur, encore plus proche du cœur de l’Europe.
La région de Kaliningrad
Après la quasi rupture des negotiation entre l’OTAN et la Russie en 2022, les chances que la Russie poste des missiles de moyenne portée dans la région sont assez élevées, ce qui conduira probablement au déploiement de missiles américains dans l’UE. Je ne m’attends pas à des combats là-bas, mais l’ambiance va devenir bien pire, proche de ce qui s’est passé dans les années 70. Une augmentation de la présence militaire de l’OTAN en Pologne devrait également pousser la Biélorussie à se rapprocher de la Russie, pour éventuellement rejoindre la Fédération de Russie.
Amérique du Sud
Il est clair que l’administration Trump a décidé de « reconquérir » la région, et la récente victoire du candidat pro-américain au Brésil, très certainement soutenu par les États-Unis, en est un bon exemple. Parallèlement, la Russie parle d’installer une base militaire à Cuba, et la Chine manifeste un intérêt croissant pour Cuba et le Venezuela. Je pense que les probabilités sont fortes pour qu’un nouveau front s’y ouvre, par exemple avec un conflit entre le Brésil et le Venezuela et/ou la Bolivie, chacun soutenu par son ‘sponsor’. L’effet devrait principalement être sur la population américaine, se sentant plus précaire et donc moins encline à demander de grands changements.
L’océan Pacifique
La confrontation entre les États-Unis et la Chine se passe déjà dans les mots. Une évolution probable pourrait impliquer une provocation et un conflit limité impliquant la Chine ou un allié chinois, et un allié américain dans la région. Encore une fois, je ne crois pas à un conflit direct entre les États-Unis et la Chine, cela rendrait la troisième guerre mondiale beaucoup trop probable. Mais la Chine n’abandonnera pas ses plans de re-integrer Taiwan, la seule question est quand.
Les autres guerres
Les conflits ci-dessus peuvent retarder une insatisfaction croissante au sein des populations occidentales, mais seulement pour une période de temps limitée. En regardant l’agressivité et l’intolérance accrues entre les groupes d’opinion, je crois que des conflits civils à l’intérieur de certains pays occidentaux sont probables. Le premier candidat que je vois, ce sont les États-Unis eux-mêmes, où là encore, les séquelles d’une vieille guerre (la guerre de Sécession) sont encore apparentes, et sont devenues plus visibles avec le mur croissant d’incompréhension et d’intolérance entre les électeurs de Trump et les libéraux. Le nombre élevé d’armes à feu dans le pays et l’escalade verbale dans le dialogue entre les parties font grandir sous nos yeux la probabilité d’une nouvelle guerre civile.
Quel serait le résultat ? La scission du pays en 3 ou 4 entités, mais cela pourrait faire l’objet d’une Lettre à part !
L’Europe ne devrait pas voir de tels développements, mais un changement de régime violent est sur la table, en particulier en France.
Tout ce qui précède améliorera à coup sûr les résultats financiers des fabricants d’armes occidentaux, au moins pendant un certain temps. Comment ces conflits seront-ils résolus et le nouvel ordre mondial sera-t-il établi ? Regardez la Syrie aujourd’hui pour vous faire une idée !
Mais le scénario peut aussi se transformer en conflit général, même par pur accident ou incompréhension, ce que j’illustrerais avec une de mes dessins préférés: