Luc Brunet – 19 decembre 2016
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Je m’en tiens toujours à ce modèle publié il y a 6 ans et à ses conclusions. Fait intéressant, toutes les célébrités américaines qui ont déclaré en 2016 qu’elles quitteraient les États-Unis si Trump était élu… ont apparemment changé d’avis. Enfin, sur une note humoristique, on peut maintenant presque ajouter une quatrième dimension: le niveau de libéralisme COVID !?
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Cette Lettre tente de résumer une réflexion que j’ai menée depuis quelques années, ayant été parfois très surpris par la réaction de mes interlocuteurs. Souvent entièrement d’accord avec moi sur des points fondamentaux de politique, il arrivait que ces personnes, souvent des amis, réagissent violemment et de manière inattendue à mes positions sur des sujets annexes ou liés à la vie de la société et son évolution.
En effet, il y a seulement quelques dizaines d’années, il était possible de relativement bien classifier les tendances d’opinion sur la base gauche-droite ou conservateur-libéral, alors que depuis quelques années, cette distinction simple en deux camps n’est plus suffisante. Chacune de ces deux catégories se fractionne elle même en plusieurs groupes si l’on aborde des sujets important et d’actualité comme le pouvoir des Banques et du « Marché » par rapport au pouvoir des États Nation, ou encore l’attitude face au terrorisme ou a la vague de Migrants en Europe.
Pour commencer, je pense qu’il est bon de revenir sur la classification classique gauche-droite, qui a été le cadre des affrontements partisans depuis le début des démocraties modernes, que je situe dans la deuxième moitié du 19eme siècle. Cette carte bi-partisane de la vie politique a été largement influencée par la montée en force du Capitalisme industriel, l’opposition ouvriers-capitalistes ayant été articulée par Karl Marx et beaucoup d’autres penseurs et philosophes. Cette fracture en deux camps perdurera pendant au moins un siècle, amplifiée et exacerbée par l’apparition du premier état Communiste, l’URSS.
Cette opposition de deux parties pouvait être décrite simplement en une représentation a une dimension, donc d’une manière linéaire. Cette représentation linéaire était suffisante pour décrire l’aspect conservateur ou révolutionnaire d’un parti ou d’un individu.
Il est important de comprendre que cette dimension unique était suffisante, car la position de chacun sur cette ligne indiquait également sa position dans des domaines de la vie en société, comme les libertés sexuelles, le droit des femmes, la religion, les revendications ouvrières etc. Un individu très conservateur était (a de rares exceptions prés) plutôt religieux, contre toute libération sexuelle, alors qu’a l’autre extrémité de la ligne, les communistes représentaient un athéisme militant, une condamnation systématique des patrons et une liberté sexuelle accrue, du moins parmi les intellectuels, alors que les ouvriers de base n’étaient pas toujours en ligne avec ces idées, ouvrant la voie a l’introduction d’une seconde dimension comme nous le verrons plus loin.
De même, les conservateurs étaient en général favorables a une grande liberté d’entreprendre et a limiter les subsides sociales, alors que les gens de gauche préféraient un contrôle plus stricte de l’État dans les domaines d’utilité publique, et une redistribution des richesses de manière forcée par ce même État. Ici encore, la position sur la ligne dépendait de l’intensité des mesures proposées, allant de l’État providence socio-démocrate occidental, a l’État tentaculaire des pays Communistes.
Encore une fois, la position de chaque individu sur cette ligne permettait presque sans erreur de prévoir son opinion sur tous les aspects de la vie sociale, politique et économique, comme bien illustré par les célèbres films Don Camillo!
Ce modèle linéaire a cependant cessé de fonctionner vers les années 70, en France après 1968, avec une mise en avant de l’individualité en général, mettant l’individu au centre du débat, alors que la société elle même occupait cette place depuis un siècle ou plus. Le graphique a une dimension a montré ses limites avec l’apparition de la « nouvelle Droite » de Valery Giscard d’Estaing, très droitière sur les sujets économiques (libre échange, privatisations etc), mais très anti-conservatrice sur les sujets de société, comme l’avortement, les libertés sexuelles, l’égalité des sexes, alors que la gauche traditionnelle comme le Parti Communiste prenait des positions plus critiques par rapport a certains de ces sujets de société.
Cette dissonance se développa durant les deux dernières décennies du 20eme siècle, et le paramètre « individualisme » est devenu fondamental dans l’analyse des fonctionnements sociaux, au point de devenir une nouvelle dimension a part entière.
Vers la fin de cette période, une nouveau paramètre est apparu, lié au phénomène idolâtré ou détesté de « mondialisation », qui non seulement signifie une ouverture des frontières (a la OMC), mais aussi a un lent et discret transfert de souveraineté des États Nation traditionnels vers des entités supranationales, soit politiques comme la Communauté Européenne, ou économiques comme les grands groupes multinationaux, notamment financiers, ou encore le sulfureux groupe Bilderberg. Cette nouvelle dimension est devenue omniprésente dans les discussions politiques des années 2010, et crée une nouvelle fracture a l’intérieur des partis politiques traditionnels, comme on l’a vu lors de l’élection de Trump ou lors du Brexit, rendant l’obsolescence de ces partis de plus en plus flagrante.
Je pense que trois dimensions sont maintenant nécessaires pour modéliser le positionnement politique et social des individus et des groupes politiques. Chaque dimension sera dans la suite mesurée sur une echelle de 0 a 10.
Première dimension: l’Eco-libéralisme
La première variable est le degré de liberté dans l’économie, que je propose d’appeler éco-libéralisme. Généralement, le niveau zéro de l’éco-libéralisme est une société où toute liberté économique est niée et où le seul acteur économique est l’État lui-même. L’URSS en était un exemple, et aujourd’hui, je ne vois qu’un seul pays à cette position, la Corée du Nord. Un pays ou une société au niveau 10 serait un pays où 100% des ressources économiques et de production sont entre les mains du secteur privé. Aucun pays n’est à ce niveau aujourd’hui, mais c’est le pays idéal pour les Thatcheristes ou Reaganistes convaincus. La plupart des pays de l’Ouest se situent quelque part entre les niveaux 3 et 8, et je suis sûr que vous pouvez facilement positionner votre propre pays sur cette dimension. Un niveau élevé d’éco-libéralisme implique une pleine priorité accordée à l’entreprise privée et, au contraire, un mépris profond pour tout ce qui ressemble à l’implication de l’État dans les affaires économiques.
Seconde dimension: le Socio-libéralisme
La deuxième variable est le degré de liberté pour les individus, que j’appelle le socio-libéralisme. Pour montrer quelques exemples, un socio-libéralisme de niveau zéro serait une société où les individus n’ont aucune liberté personnelle et tous doivent strictement obéir à un modèle social ou religieux. Les deux exemples que je suggérerais à notre époque sont (encore une fois) la Corée du Nord et le tristement célèbre califat ISIS, l’Arabie Saoudite n’étant pas loin, probablement à 8 ou 9, suivie par l’Iran. Les pays à un niveau élevé dans cette dimension sont par exemple la Suède ou le Danemark, et vous pouvez facilement évaluer le niveau de votre propre pays. Là encore, un très haut niveau de socio-libéralisme implique une attitude dédaigneuse envers tout modèle non conforme, notamment envers la famille traditionnelle et toutes les valeurs traditionnelles, même dans un environnement tolérant.
La scission entre Eco et Socio-libéralisme a l’avantage de mettre fin à la confusion entre ces deux sortes de libéralisme. En effet, je crois que les deux types ne sont pas corrélés, ce qui nous permet de les placer selon deux dimensions distinctes. Beaucoup d’éco-libéraux ne sont pas du tout des socio-libéraux (voir par exemple le sénateur McCain aux États-Unis ou de nombreux néocons ou religieux aux États-Unis qui soutiennent avec enthousiasme le libre-échange et l’entreprise, mais sont aussi contre tout type d’avortement et ont une attitude très conservatrice vis-à-vis des minorités, les groupes de type KKK en étant une variante extrême. De l’autre côté, les partisans des droits des LGBT, des droits des minorités, des droits des migrants sont completement divisés lorsque le sujet passe à l’éco-libéralisme!
Troisième dimension: l’Internationalisme
Enfin, la troisième variable mesure le degré d’attachement à l’État-nation, avec ses traditions et ses valeurs, comparé au désir d’oublier la culture locale et d’adhérer à une entité supranationale quelconque. J’appelle cette variable l’internationalisme. Si vous êtes à un niveau bas de cette variable, cela signifie que vous êtes en faveur d’un isolement national extrême (la Corée du Nord est à nouveau à zéro sur l’échelle), alors qu’un niveau très élevé correspond à un pays cédant la plus grande partie de sa souveraineté à d’autres organes, et les pays européens sont dans cette position, volontairement comme la France ou maintenant par défaut comme la Grèce. Là encore, nous pouvons passer le test de l’indépendance par rapport aux autres variables, car un pays ou une région peuvent très bien être pleinement souverains et être de type socio-libéral (Islande) ou socio-conservateur (Iran). De la même manière, un gouvernement mondial (donc au niveau 10 de l’internationalisme) pourrait être éco-libéral tel que rêvé par Soros, ou totalement contrôlé par l’État, très proche du monde décrit par Orwell dans son livre de 1984.
Nous avons maintenant les trois variables indépendantes pour positionner les groupes et les individus dans un nouveau paysage politique 3D, chaque variable étant également importante, notamment si l’on considère l’intolérance croissante de nombreux acteurs en politique, où un niveau élevé d’éco-libéralisme, de socio-libéralisme, et dans une certaine mesure d’internationalisme, est considéré comme acquis pour toujours par la plupart des élites occidentales (et journalistes), quiconque proposant une position alternative étant considéré comme un attardé, un vestige du passé, un fasciste, un bigot, un raciste, et bien d’autres mots gentils….
Les quelques exemples ci-dessous (et le même exercice peut être fait sur vos amis, pays, politiciens et partis) montrent que le positionnement gauche-droite traditionnel des partis et des politiciens ne signifie plus grand-chose aujourd’hui. Selon le sujet de la discussion, les gens peuvent se trouver en plein accord sur un sujet donné, mais en désaccord total sur le sujet suivant.
Sur le premier graphique, la Corée du Nord est en sécurité dans son coin (0,0,0), tandis que la représentation peut-être caricaturale de l’élite Californienne de la Silicon Valley, se trouve à l’angle complètement opposé. La Russie est évidemment un pays non internationaliste (l’URSS ayant échoué sur ce concept), assez modéré du point de vue de l’éco-libéralisme et clairement conservateur en termes de socio-libéralisme, sans être répressif (vous n’êtes peut-être pas d’accord, mais est ce que je vois à Moscou depuis 25 ans).
Le deuxième graphique tente d’évaluer la position de certaines personnalités politiques françaises clés, y compris Macron, Fillon, Le Pen et l’ineffable BHL. Il est intéressant de regarder les points rouges de différents points de vue, et par exemple, Macron et BHL sont très proches, alors que Fillon et Le Pen sont proches, mais seulement si vous oubliez la dimension internationalisme!
Enfin, un graphique sur quelques figures américaines comme Hillary Clinton, Trump, Sanders et McCain. Là encore, toutes les dimensions importent, et Clinton se rapproche de McCain si l’on néglige la dimension du socio-libéralisme, alors que Sanders n’est pas si loin de Trump sur de nombreux aspects!
Bien sûr, tous les positionnements peuvent être discutés, car ils s’appuient sur les déclarations des politiciens, en particulier pour ceux comme Sanders, McCain qui n’ont jamais gouverné en réalité. Quoi qu’il en soit, je crois que l’outil 3D peut révéler beaucoup d’aspects cachés de la politique.
Mais trois degrés de liberté sont aussi un problème dans la gestion des affaires publiques, car il devient beaucoup plus difficile de trouver un consensus stable et une gouvernance qui gardera la société cohérente et heureuse. Vous pouvez aimer un candidat sur une dimension et le détester sur une autre, ce qui rend les choix assez difficiles …
Quelle sera la manière de résoudre cette nouvelle source de conflits éco / socio / souveraineté? Je ne sais pas, mais ce que je crois, c’est que la tendance actuelle en Occident à imposer sa vision comme une idéologie est fausse et génère en effet une réaction prévisible, que les socio-libéraux aiment appeler le «populisme» avec leur dédain habituel.
Insister et tenter de plus en plus le passage en force est une terrible erreur des élites, qui mènera au retour des pogroms et autres actes d’intolérance violents. Les responsables sont connus – allumez votre TV!