Luc Brunet – 25 February 2014
Les événements de Maïdan se sont terminés de manière très inattendue il y a quelques jours, laissant le pays dans un vide politique. Des événements dramatiques se sont produits et la mort de personnes est toujours une perte pour leur famille et leur communauté, quel que soit leur camp d’appartenance, et nos pensées vont à leurs proches.
Cela étant dit, nous devons examiner la situation actuelle avec un esprit pratique et, si nécessaire, cynique, car de nombreux aspects de ces événements sont loin d’être clairs.
Tout d’abord, le comportement des dirigeants et des médias de l’UE (et des États-Unis).
En fait, la politique de l’UE et des États-Unis semble avoir une tendance systématique à soutenir des opposants dans des pays qui ne sont pas considérés comme ‘amis’, et cela sans regarder plus loin que des tactiques à très court terme et sans comprendre quelles seront les conséquences d’une telle situation. Tout le monde se souvient encore de la façon dont les États-Unis ont soutenu et formé la future élite d’Al-Qaida en Afghanistan lorsque le pays était un allié de l’Union soviétique. Lors d’événements beaucoup plus récents, nous avons vu comment le soutien à l’opposition syrienne s’est avéré être en faveur de combattants de la charia dont le but ultime était de créer une république islamique comprenant la Syrie, l’Irak et le Liban, ce qui est loin d’être une excellente perspective pour l’avenir de la région et du monde.
Depuis quelques mois, des soutiens ont été apportés au mouvement Maïdan, encore une fois sans considération de qui en faisait partie et menait effectivement de nombreuses actions du mouvement. Bien sûr, la majorité des gens dans les rues étaient des citoyens ukrainiens ordinaires, fatigués de la corruption et de la manière inefficace dont le pays était dirigé par l’équipe Ianoukovitch. Et je pense que c’était légitime, car le gouvernement ukrainien (et d’ailleurs ses prédécesseurs) n’a pas realise grand-chose et a de nouveau montré toute son incompétence. Cependant, un plus petit nombre de manifestants étaient là avec une solide détermination et les compétences et outils appropriés pour organiser une révolte armée qui déstabiliserait le pays et leur permettrait d’imposer leurs vues. Ici, rien n’est inventé, vous avez tous vu des hommes avec des casques (des vrais, pas les casques de vélo utilisés par les citoyens ordinaires non armés qui se sont fait tirer dessus le 20 février), des gilets pare-balles et armés de fusils ou d’armes automatiques. Je n’invente rien non plus en disant que ces groupes sont structurés, disciplinés et alignés sur un certain nombre de groupes d’extrême droite comme Pravy Sektor, demandant une révolution nationale pour se débarrasser des Russes et des Juifs…
Les diplomates européens et américains le savent bien sûr, mais croient comme toujours en leur représentation virtuelle du monde et pensent que de tels groupes disparaîtront bientôt, submergés par l’immense majorité des démocrates pacifiques! Au moins, j’espère qu’ils croient honnêtement…
Mais la réalité est extrêmement dure et je ne crois pas du tout à un avenir aussi rose. Le pays est maintenant dans un vide et dans de telles situations, l’histoire montre que les gagnants sont simplement les groupes les mieux organisés et les plus déterminés qui comblent le vide du pouvoir, tandis que les masses de bonne intention ont le choix de suivre ou d’être nommées ennemies de la nation. .
Le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, fermait-il les yeux sur la rhétorique antisémite des principaux membres de l’opposition ? Savait-il que dans les villes sous l’influence de tels groupes, des monuments ont été érigés pour célébrer la division SS Galicie, du nom d’une région de l’ouest de l’Ukraine, comme celui-ci à Lvov ?
Savait-il que ces groupes, après 1941 et sous la direction de Stepan Bandera ont soutenu les nazis et ont profité des temps difficiles pour « nettoyer ethniquement » la région, tuant des Russes, des Polonais et des Juifs? Il devrait y réfléchir peut-être un peu plus!
Quelle est la prochaine étape?
Si les puissances occidentales veulent prouver leur bonne foi dans cette histoire et montrer qu’elles se soucient vraiment du peuple ukrainien, et pas seulement de gagner un point sur l’échiquier géopolitique, elles devraient demander que ce qui suit soit fait par les nouveaux dirigeants ukrainiens :
- demander une enquête ouverte et internationale pour vraiment savoir qui a tiré sur des gens dans les rues de Kiev en février. Des policiers ont également été tués et les morts et leurs familles méritent de savoir exactement pourquoi ils ont été abattus par des tireurs d’élite et qui l’a fait
- des enquêtes sur la corruption doivent être menées sur la période au pouvoir Ianoukovitch, mais aussi sur ses prédécesseurs, et les résultats doivent être publiés
- des mesures doivent être prises contre les groupes extrémistes (les désarmer et les rendre illégaux, comme cela a été fait en Grèce)
- abandonner les lois arbitraires votées cette semaine, imposant par exemple l’usage de l’ukrainien et refaire du russe l’une des langues officielles du pays
C’est MAINTENANT que les puissances occidentales doivent s’unir à la Russie (qui n’a d’ailleurs jamais été un grand partisan de Ianoukovitch) et imposer les règles fondamentales de la démocratie en Ukraine, en envoyant si nécessaire des troupes de l’ONU pour garantir la liberté et un traitement équitable pour tous.
Vont-ils y parvenir ou même partiellement? Je vous laisse juger par vous-même.
Mais à moins que cela ne soit fait, et rapidement, le chemin est clair, et c’est vers la catastrophe.
Le pays, sans soutien financier de la Russie, fera très vite faillite. L’UE et les États-Unis doivent-ils remplacer ce soutien et dépenser des milliards d’euros par mois pour sauver le pays alors qu’ils sont eux-mêmes proches de l’insolvabilité? Encore une fois, jugez par vous-même, surtout si vous vivez dans l’UE et que vous recevrez vos impôts à payer. Pour le citoyen américain, aucune crainte à avoir à ce sujet, car votre gouvernement sait quand s’impliquer est rentable et quand il vaut mieux faire payer la facture aux Européens… Compter sur un soutien supplémentaire de la Russie est une illusion, car la Russie ne va pas verser d’argent dans un pays instable, dont les dirigeants expriment une position très anti-russe.
Parallèlement, la montée des sentiments anti-russes à l’Ouest et à Kiev poussera les régions de l’Est à déclarer leur indépendance et à demander la protection russe. La Russie n’a vraiment pas besoin de cela et je crois qu’elle prie pour que cela ne se produise pas, mais elle ne pourra guère refuser car les électeurs russes ne le permettraient pas et la base militaire en Crimée doit être protégée. Des raisons économiques poussent également à une scission, car la plupart des activités industrielles sont à l’est et les entreprises vendent la majorité de leurs produits à la Russie, avec peu d’espoir de passer les exigences normatives de l’UE, ce qui signifierait un changement total des normes de production en cas de soi-disant « Intégration européenne ».
C’est parti pour un nouveau drame yougoslave, avec des déplacements de population, des épurations ethniques, etc., mais à une échelle beaucoup plus large, et avec quelques pays ayant encore des revendications territoriales sur certaines parties de l’Ukraine, comme la Hongrie ou la Moldavie. Et encore une fois comme en Yougoslavie, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale et les sentiments de haine cachés depuis des années reviennent à la surface.
Une question reste ouverte a mon point de vue, et c’est la position des forces armées ukrainiennes. Suivent-ils la posture traditionnelle de l’armée russe pour éviter d’être impliqués dans des conflits politiques (règle brisée en 1993 à la demande de Boris Eltsine), ou sont-ils trop divisés pour agir ? Ianoukovitch a-t-il demandé l’intervention de l’armée et a-t-elle été refusée ? Il reste encore beaucoup de travail à faire pour comprendre ce qui s’est exactement passé et ce qui se passe dans ce pays de 46 millions d’habitants !