Luc Brunet – 23 mars 2013
Une semaine très intéressante avec les derniers développements de la crise, cette fois à Chypre. Rien de surprenant en effet, et certains lecteurs se souviendront peut-être que cette Lettre classait Chypre parmi les pays les plus à risque sur son système bancaire.
C’était il y a déjà longtemps, je crois en 2011, mais comme nous nous en souvenons tous, la clé de cette crise financière n’est pas un problème de flux de trésorerie et de liquidité, mais un problème fondamental avec les bilans des banques. Une énorme quantité d’actifs inscrits à leur valeur nominale dans ces bilans sont en fait sans valeur ou proches de zero, et aucun miracle ne s’est produit pour transformer ces actifs pourris en actifs sains. Au cours des dernières années, l’exercice consistait à continuer à croire et à faire croire que de tels actifs pouvaient être cotés en bourse, mais la réalité est dure et la vérité éclatera tôt ou tard, à Chypre mais aussi dans la plupart des autres pays. .
Le problème à Chypre est plus douloureux en raison de l’exposition des banques locales au défaut silencieux de la Grèce, combiné à un secteur bancaire extrêmement gonflé au sein de l’économie locale. Comme l’a récemment calculé le blog toujours très utile www.les-crises.fr, le secteur bancaire à Chypre est environ 7 fois plus important que le PIB du pays, jouant dans le peloton de pays comme l’Irlande et Malte (également environ 7 fois), seulement dépassé par le Luxembourg (21 fois). Les banques chypriotes battent cependant le Luxembourg et tous les autres pays européens en montant de prêts privés par rapport au PIB du pays, avec un ratio de plus de 3 fois.
La décision de la Commission Européenne d’exiger une taxe sur les dépôts était très inattendue, et apparemment pas très bien préparée, soulevant plus de questions et de protestations qu’elle ne résolvait le problème lui-même.
D’abord, même si elle avait été acceptée, l’action était trop limitée pour sauver les banques locales. Au bout d’un certain temps, comme on l’a vu en Grèce ou en Espagne, il faudrait un autre montant de plusieurs milliards d’euros, et encore et encore. Si une taxe était exigée à chaque fois, le patient serait mort bien avant la fin du traitement. D’un autre côté, pourquoi Chypre serait-elle traitée différemment de l’Irlande, de la Grèce ou de l’Espagne? Certains commentaires dans la presse ont déclaré que Chypre est un pays de blanchiment d’argent avec de grandes quantités d’argent russe sale. Mais alors la question se pose aussitôt : les si vertueux experts de l’UE l’ont-ils ignoré lorsqu’ils ont accueilli Chypre dans la zone euro en 2008 ? L’argent russe était-il propre en 2008 et est-il devenu sale entre-temps? Attitude malhonnête ou incompétence grossière, je vous laisse le choix, mon estimation est 50/50…
Cette décision met non seulement Chypre en danger, mais peut également créer une crainte générale parmi les investisseurs et les ménages que leur argent ne soit pas en sécurité dans les banques.
Au moins, cela peut révéler la vérité que tant de gens veulent ignorer depuis 2008 : oui, l’argent laissé dans les banques est dangereux, et peut être confisqué ou simplement disparaître dans une faillite contagieuse du secteur bancaire. L’énorme quantité d’actifs indésirables mentionnés précédemment sera un jour réajustée à sa valeur réelle de zéro ou proche de zéro, et ceux qui auront leur argent au mauvais endroit au mauvais moment perdront tout. Et rappelez-vous, aucun pays n’est sûr… La banque Wegelin s’est récemment effondrée en Suisse, accusée d’aider à l’évasion fiscale américaine, et deux anciennes banques privées suisses (Pictet et Lombard Odier) ont changé de statut après plus de 200 ans de fonctionnement, et les Partenaires de la banque ne sont désormais plus responsables sur leurs avoirs personnels en cas de faillite bancaire – prudents !
En regardant les différents pays qui ont eu de vrais problèmes depuis 2008, je vois maintenant trois variantes d’événements.
La première variante est celle de la Grèce, de l’Irlande ou de l’Espagne, où les contribuables de l’UE prennent l’addition car les actifs irrécouvrables sont transférés à la BCE. Le second est maintenant Chypre où une expérience a été tentée pour faire payer une partie de la facture aux investisseurs, promue par la Commission européenne sans succès au final. Le troisième est l’Islande où la réalité de l’entreprise privée et du capitalisme a été appliquée et où les banques sont restées seules dans une faillite gérée, frappant bien sûr durement les déposants (clairement plus de 10% !) et les actionnaires des banques – une solution initialement proposée par l’Allemagne pour Chypre.
Chypre ne peut pas revenir au premier régime, à moins que les dirigeants de l’UE ne baissent le pantalon. La troisième option est la plus probable maintenant, à moins que Chypre ne sorte de la zone euro et ne cède ses réserves de gaz récemment découvertes à Gazprom en échange d’un renflouement russe coûteux, une solution d’ailleurs fortement critiquée par la Turquie.
La Russie croyait être relativement épargnée par la crise bancaire, mais oubliait son petit partenaire et ami Chypre. Laisser son argent dans un coffre-fort ouvert n’était pas une bonne idée, même si le résultat peut être positif d’un point de vue géopolitique, tirant Chypre et probablement la Grèce hors de la zone euro, dans une zone d’influence russe.
Une telle évolution serait un pas de plus pour que la crise passe d’une crise financière à une crise politique en Europe. L’événement le plus récent dans ce domaine a été la forte protestation envoyée par les électeurs italiens contre la gouvernance de l’euro, chassant le régime de Monti et propulsant le leader anti-système Grillo sur la scène. La chaleur monte sur le leadership de l’UE, et ce n’est que le début…