Luc Brunet – 21 Janvier 2022
Une année de révélations
L’année 2022 a en effet été une année de révélations. Pas une, mais plusieurs révélations.
La première révélation est de nature stratégique, lorsque François Hollande et Angela Merkel ont admis que les accords de Minsk étaient un piège pour la Russie, signés mais jamais mis en œuvre pour gagner du temps et permettre à l’Ukraine de se renforcer militairement avec le soutien de l’OTAN. Bien que beaucoup aient écrit sur une telle version des événements au cours des dernières années, le fait que de telles personnes la mentionnent publiquement transforme la ‘conspiration’ en réalité.
Et si on met celà en perspective avec de nombreuses déclarations des États-Unis/UE (nous allons saigner la Russie et ruiner son économie pendant des décennies, etc.) et de la Russie (l’Occident nous a menti et nous ne pouvons plus leur faire confiance, nous voyons le combat entre néolibéralisme global et souveraineté multipolaire), nous pouvons en conclure la deuxième révélation : ce que nous voyons maintenant fait partie d’un conflit géant pour la survie entre deux projets d’évolution du monde.
D’un côté le modèle mondialiste, néo-libéral, où le pouvoir est entre les mains de quelques milliardaires oligarques, avec des gouvernements de pays mis en place par ces oligarques (de manière douce, par le lobbying et la sélection en amont de jeunes politiciens par exemple) . Dans ce modèle, et nous le voyons déjà se produire en Europe, l’histoire, les traditions et la culture doivent être détruites et remplacées par l’homo-consumens.
De l’autre côté, le modèle souverain, basé sur la culture et les traditions des nations, où les dirigeants politiques réglementent et contrôlent les oligarques.
Ces deux modèles sont évidemment incompatibles, car le modèle globaliste n’a de sens que s’il est global. De cette façon, le conflit entre les deux ne peut se terminer que par la capitulation ou la destruction de l’un d’eux.
Un ordre mondial se termine
La fin d’un ordre mondial créé en 1945 est souvent évoquée dans les médias. Je pense que ce qui se passe maintenant est beaucoup plus profond et plus large que cela. Ce que nous voyons et verrons au cours des prochaines années, c’est la fin d’un ordre mondial créé il y a 500 ans. Au XVe siècle, quelque chose a radicalement changé dans l’ordre mondial, les puissances européennes entrant dans une phase de colonisation de la majeure partie du reste du monde.
Cela a été rendu possible pour deux raisons. D’abord les progrès de la construction navale dans les puissances maritimes, permettant de voyager très loin et de transporter des charges importantes d’hommes ou de marchandises. La deuxième raison est le besoin constant d’argent pour financer les guerres que les pays européens menaient continuellement les uns contre les autres.
La zone coloniale était totalement dirigée par des puissances maritimes comme l’Angleterre, la France, l’Espagne, le Portugal et la Hollande, tandis que les puissances continentales d’Europe centrale étaient pratiquement exclues de cette affaire, y compris les États germaniques. La Russie, elle aussi, s’est étendue mais uniquement à pied vers l’Est, dans des territoires presque vides. Dans certains cas, il s’agissait d’un colonialisme de peuplement, souvent accompagné de l’extermination des populations locales comme en Amérique du Nord ou en Australie, mais il pouvait aussi s’agir d’un colonialisme d’exploitation comme dans la majeure partie du continent africain, y compris l’exploitation humaine dans le cadre de l’esclavage. La période coloniale a changé le monde pendant très longtemps, et ce jusqu’à nos jours.
La décolonisation s’est faite rapidement pour certaines régions, comme les Amériques, ou beaucoup plus tard pour les pays africains. Les États-Unis se sont développés rapidement au XIXe siècle, bénéficiant d’une migration massive en provenance d’une Europe en difficulté. Mais pour nous tous, l’image que nous avons du monde reste d’un côté le monde ‘développé’, ‘industrialisé’ et de l’autre tous les autres. Je me souviens des termes ‘tiers monde’ ou ‘pays sous-développés’ utilisés par tout le monde dans les années 70 ou 80. Même maintenant, c’est la scission que la plupart des occidentaux ont à l’esprit, et il semblait qu’elle allait durer éternellement, avec des pays « en voie de développement depuis 60 ans, une absurdité évidente.
Pendant des siècles, les pays d’Europe occidentale ont bénéficié de l’exploitation de terres et de populations éloignées, leur permettant de financer leurs guerres locales et d’enrichir leur élite, avec deux acteurs majeurs étant la France et l’Angleterre. La Russie a toujours été mise à l’écart et considérée avec crainte et envie, en raison des ressources naturelles presque infinies provenant de ses immenses territoires. Mais jusqu’au XXe siècle, les ressources énergétiques russes n’étaient pas si importantes pour l’Europe occidentale, car la première révolution industrielle reposait principalement sur le charbon, qui était à l’époque largement disponible dans la plupart des pays occidentaux.
Colonisation 2.0
Cet ordre du monde apparemment stable a commencé à changer dans la première moitié du XXe siècle, avec l’émergence des États-Unis en tant que première économie mondiale et étoile montante en termes de technologie et de puissance militaire.
En parallèle ce siècle fut aussi la période où l’Angleterre et la France ont perdu la plupart de leurs colonies. Cependant, l’influence et le rôle économique de ces deux pays ont survécu dans de nombreux cas à la fin de la colonisation formelle.
Je ne discuterai pas ici du bon ou du mauvais impact de la colonisation, car il s’agit d’un tout autre débat. Cependant, les avantages en sont clairs pour les puissances occidentales :
– de nouveaux territoires conquis dans les Amériques, peuplés d’une classe ouvrière asservie importée d’Afrique, bien que tous soient devenus indépendants très tôt
– exploitation des ressources naturelles en Afrique et en Asie qui ont même survécu à la décolonisation, avec la présence maintenue des entreprises occidentales dans la plupart des pays
Le 20e siècle a aussi été la période où la Russie (ou plutôt l’URSS) est devenue une nuisance pour l’Occident, comprenant déjà tous les pays que les médias occidentaux appellent aujourd’hui la ‘communauté internationale’, donc l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest, l’Australie et un quelques pays asiatiques. L’URSS a en effet soutenu les ex-colonies essayant de s’éloigner de leurs anciens maîtres occidentaux et désireuses de prendre le contrôle des ressources naturelles de leur pays. Tous ceux qui étaient là dans les années 60 ou 70 se souviennent du terme ‘groupe de pays non alignés’ à l’ONU, ou des combats épiques contre Nasser en Egypte ou Mosaddegh en Iran.
Mais à partir de 1945, l’Angleterre et la France perdent définitivement leur statut de leaders occidentaux au profit des Etats-Unis, qui deviennent le leader incontesté de l’ouest, et se déclarent leader du monde après la fin de l’URSS. Le nouveau rôle des États-Unis est en effet dans la suite du colonialisme, y compris avec sa vitrine de justifications morales: l’Angleterre, l’Espagne ou la France ont apporté la civilisation et la vraie religion aux humains ‘primitifs’, et maintenant les États-Unis apportent la ‘démocratie’. Et dans les deux cas, la réalité est beaucoup plus simple: nous voulons votre or ou votre pétrole.
Capitalisme 2.0
Avec la fin de l’URSS, on a aussi vu une évolution rapide de la nature du capitalisme, en l’absence d’alternative. Même si le communisme soviétique était inefficace et stagnant dans ses dernières années, il a fourni un système alternatif théorique qui a effrayé le monde occidental et a créé une sorte d’auto-limitation, évitant la cupidité des grandes entreprises à devenir incontrôlée. Cette déclaration n’est pas une déclaration anticapitaliste, mais plutôt une évaluation réaliste de ce dont les êtres humains sont faits.
Avec une dette croissante aux États-Unis et dans l’Occident en général, à la fois publique et privée, le système est devenu dépendant de sa croissance. Seule la croissance peut éviter au système de s’enliser sous son endettement écrasant. Les économistes (en particulier ceux qui passent le plus clair de leur temps dans les émissions de télévision) ont même inventé le terme ‘croissance négative’ lorsque l’économie s’est contractée.
Le nouveau rôle des États-Unis en tant que ‘leader du monde libre’, a donné aux États-Unis l’opportunité de continuer sur la voie de la croissance, en remplaçant les puissances européennes dans le rôle de ‘gendarme’ de l’ordre mondial.
Les guerres qui ont eu lieu après 1945 sont toutes liées à cette rivalité, comme la guerre de Corée ou la guerre du Vietnam, mais de nombreux autres conflits plus petits ont eu lieu dans ce contexte, ainsi que de nombreux coups d’État qui ont abattu des régimes qui voulaient priver l’ouest de revenus qu’il recevait de ses ex-colonies. Pour n’en nommer que quelques-uns : encore Mosaddegh en Iran, ou encore Indonésie, Guatemala, Brésil, Chili et bien d’autres. Colonialisme 2.0 !
Si l’on regarde des cas plus récents, toutes les guerres menées directement ou indirectement par les États-Unis, comme l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, étaient liées à des intérêts économiques, en particulier le contrôle de la production d’énergie. Dans tous les cas, l’exploitation des ressources locales rappelle l’exploitation coloniale du 19ème siècle, comme par exemple une partie des ressources pétrolières en Syrie, encore volées par les USA aujourd’hui.
Un autre point important à retenir lorsque nous parlons de la relation entre la Russie et l’Occident est le fait que les développements industriels et technologiques de la seconde moitié du XXe siècle ont nécessité de nouvelles formes de ressources. Le rôle du charbon est devenu marginal, remplacé par le pétrole et le gaz, avec un rôle élargi du pétrole, nécessaire dans de nombreux procédés de fabrication modernes comme par exemple les matières plastiques. De plus, en raison de l’utilisation de nouvelles technologies comme les ordinateurs, l’électronique, les téléviseurs, etc., la demande a augmenté pour de nombreuses autres ressources naturelles, sans parler des matières premières utilisées pour la production d’énergie nucléaire. L’Occident dispose de telles ressources, mais en quantités assez limitées, en particulier l’Europe, et la Russie (avec la Chine) sont devenues des fournisseurs essentiels de ces biens. Ceci et les autres ressources naturelles de la Russie (le bois pour n’en citer qu’une) font que les anciens sentiments de peur et d’envie envers la Russie ont considérablement augmenté.
La fin de l’URSS a été perçue comme une opportunité fantastique d’accéder à toutes ces gigantesques réserves de ressources naturelles, et le plan n’était pas seulement d’avoir accès à ces actifs, mais aussi d’obtenir les bénéfices de leur vente dans le monde entier, une attitude typiquement coloniale.
À propos de l’attitude occidentale envers la Russie, une grande partie de ce qui précède est documentée dans la littérature publiée par de nombreux groupes de réflexion, comme par exemple le PNAC (Project for the New American Century) créé par Willliam Kristol et Robert Kagan (le mari de Victoria Nuland qui distribuait des cookies sur le Maïdan) ou les livres de Zbigniew Brzezinski.
J’ai aussi écrit un article là-dessus en 2015, que vous pouvez lire sur ce lien:
Les années Eltsine ont été entièrement soutenues et parfois financées par les néo-conservateurs occidentaux. Après l’élection de Poutine en 2000, d’ailleurs également soutenu par l’Occident, on s’attendait à continuer sur cette voie. Cependant, Poutine s’est avéré vouloir suivre sa propre voie et mettre un terme aux plans occidentaux. L’arrêt n’a pas été réalisé en un jour et a duré de nombreuses années, mais toutes les tentatives pour le contrer (par exemple avec Khodorkovsky) ont été stoppées à temps par le régime de Poutine.
Démocratie 2.0
Pour en revenir à la mondialisation, il faut regarder l’évolution du pouvoir en occident. La fin de l’URSS a créé une situation unique en Occident, une véritable euphorie après une victoire, avec le sentiment que le capitalisme avait gagné pour toujours et que les règles pouvaient être définies par le capitaliste occidental sans discussion. Les grandes entreprises et les banques ont donné libre cours à leur appétit et à leur cupidité et ont réussi (encore une fois sous l’égide intellectuelle de nombreux groupes de réflexion) à utiliser leurs énormes profits pour ‘acheter’ le pouvoir. Ce n’est de loin pas limité à la corruption de l’enveloppe passée de la main à la main, mais utilise de nombreuses autres options légales. Aux États-Unis, le lobbying et le financement des campagnes politiques sont des moyens légaux d’« acheter » du pouvoir. En Europe, les jeunes leaders sont « éduqués » dans des groupes comme les Global Leaders for Tomorrow (maintenant Young Global Leaders), une initiative du WEF, augmentant la synergie entre les affaires et la politique. Le mot synergie est faible bien sûr. La meilleure façon de vérifier cette logique est d’observer le pouvoir réel des dirigeants politiques locaux et de tirer vos conclusions. Quelle est la différence entre les politiques menées par Hollande, Sarkozy ou Macron en France ? rien. Pourquoi les hommes politiques élus sur un programme non mondialiste changent-ils au bout de quelques semaines ou mois et reviennent à la « raison » ? Tsipras en Grèce. Même Hollande en France (mon ennemi c’est la finance), ou Zelensky en Ukraine qui a été élu sur un programme incluant la mise en place des accords de Minsk.
Du coup, l’Occident n’est plus gouverné par des dirigeants politiques qui sont théoriquement élus pour représenter et protéger les peuples de chaque pays, mais par des oligarques mondiaux contrôlant les médias, et capables de ruiner la carrière des politiciens ne jouant pas le jeu de la mondialisation. .
La croissance ou la mort
Comme on le sait depuis 2008, ceux qui sont au pouvoir sont au sommet d’une montagne de dettes et ont besoin de croissance pour survivre. La croissance peut être obtenue de deux manières: obtenir plus de territoires sous leur contrôle ou obtenir plus d’argent à partir de territoires existants.
Augmenter les profits dans les pays occidentaux est désormais difficile, bien que les récentes mesures prises dans plusieurs pays, en particulier après la crise du COVID, montrent une tendance à éliminer les petites entreprises, celles qui ne sont toujours pas sous le contrôle des grandes entreprises. La privatisation des grandes entreprises d’État est réalisée dans de nombreux pays, de sorte que le seul domaine qui reste est celui des petites entreprises comme les restaurants, les magasins, les fermes et d’autres services. Des statistiques récentes montrent que de plus en plus de ces segments connaissent un nombre croissant de faillites et de difficultés. Tous seront remplacés par de grands groupes à la Starbucks, n’en doutons pas.
C’est le bon moment pour mentionner que ma position apparemment anti-américaine ou anti-occidentale n’a rien à voir avec les pays ou les personnes qui y vivent. 99% de la population occidentale, ainsi que l’infrastructure, la culture et la micro-économie de leurs pays sont également utilisés par les mondialistes pour augmenter leurs profits et leur pouvoir. Ils n’ont pas plus de considération pour leur propre population qu’ils n’en ont pour les Syriens ou les Ukrainiens. De plus en plus de gens commencent à comprendre cela maintenant.
Pour en revenir à la croissance externe, la fin de la période Eltsine a définitivement été un revers pour les mondialistes. Mais ils n’ont pas abandonné et la tactique habituelle de changement de régime a été appliquée aux pays entourant la Russie, par exemple en Géorgie avec un succès partiel, en Ukraine avec succès et plus récemment au Kazakhstan et en Biélorussie sans succès. Même pendant les années Eltsine, les islamistes étaient actifs en Tchétchénie, probablement pour déstabiliser davantage la Russie et accélérer « l’acquisition » des ressources naturelles russes par les sociétés occidentales.
Ukraine
Comme en Afghanistan dans la zone soviétique, les islamistes ont souvent été utilisés par les États-Unis pour déstabiliser des régimes qui ne se conformaient pas au programme mondialiste, comme la Syrie, l’Irak ou la Libye. En Ukraine, la même tactique a été utilisée, et heureusement pour les US, l’Ukraine comptait un certain nombre d’extrémistes fanatiques anti-URSS et anti-russes, principalement dans l’ouest du pays. Ces banderistes, glorifiant Bandera et sa coopération avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, ont joué un rôle très similaire à Al-Qaïda en Afghanistan ou à ISIS en Irak et en Syrie. Ils se battent aujourd’hui et meurent au service des mondialistes.
Il est important de réaliser que l’Ukraine n’est qu’un avatar dans la lutte entre les visions mondialiste et multipolaire du monde. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’elle était au mauvais endroit au mauvais moment. Son destin est celui de la Syrie, et même pire, la guerre en Syrie se limitant à une guerre asymétrique. En Ukraine, nous assistons à une guerre symétrique entre la Russie et l’OTAN, et bien que l’OTAN n’utilise pas toutes ses ressources, cela suffira probablement à détruire complètement le pays.
L’Ukraine est un Irak, un Afghanistan, une Syrie ou une Libye de plus. La seule différence c’est qu’on est en Europe, près des Européens et que les soldats et civils qui meurent sont des Européens blancs, ce qui rend les populations occidentales beaucoup plus inconfortables.
Ce que nous voyons depuis février 2022 est la conséquence de tout ce qui précède. C’est l’une des guerres auxquelles nous pouvions nous attendre. Voir aussi un article publié en 2018 :
Ainsi qu’un article de 2014 appelant a préserver la paix:
Que se passe-t-il maintenant?
La différence avec les conflits précédents est que la lutte a atteint un nouveau niveau en Ukraine. Soyons plus précis.
Premièrement, les vraies raisons sont discutées publiquement des deux côtés. Cela n’a jamais été le cas dans les guerres précédentes comme la Syrie ou l’Irak. La Russie parle ouvertement de la lutte entre globalisme et la structure mondiale multipolaire, et l’Occident ne nie pas du tout, au contraire.
Deuxièmement, trois guerres à part entière ont été lancées parallèlement aux opérations militaires:
- une guerre de relations publiques, comme d’habitude dominée par l’Occident, où l’oligarchie au pouvoir utilise pleinement les médias qu’elle possède et contrôle
- une guerre culturelle, entre la culture et les valeurs traditionnelles, et l’anti-culture occidentale
- et bien sûr une guerre économique, qui jouera peut-être le plus grand rôle dans l’issue du conflit
Tous ont beaucoup appris
Dans tout ce qui s’est passé depuis février de l’année dernière, les deux parties ont beaucoup appris.
Sur le plan militaire, la Russie a compris que l’armée ukrainienne était plus solide que prévu et ne s’est pas effondrée après les premiers coups en mars 2022. Elle a dû réduire la ligne de front à deux reprises en 2022, et en parallèle augmenter son nombre de soldats avec une mobilisation partielle, essayant de trouver un compromis difficile entre les besoins militaires et l’impératif stratégique de maintenir un développement économique raisonnable qui serait ruiné par une large mobilisation.
Nous devrions savoir bientôt si cela suffira à apporter la victoire.
Toujours du côté militaire, les pays de l’OTAN ont compris que la guerre consommait beaucoup plus de matériel que prévu (je n’écris pas ‘planifié’ car honnêtement je ne vois pas beaucoup de planification du côté de l’OTAN). De nombreux pays disposent désormais d’un stock d’armes très réduit qui les rend très vulnérables en cas d’extension géographique du conflit. L’OTAN s’attendait également à ce que la Russie soit à court de munitions, mais la Russie a montré qu’elle pouvait faire face et fabriquer suffisamment d’armes pour se battre pendant très longtemps.
Sur le plan économique, la surprise est venue de l’excellente réponse de la Russie à toutes les sanctions et de sa capacité à remplacer les ventes à l’Europe par des ventes à l’Asie, où beaucoup de produits énergétiques sont revendus à l’Europe à des prix beaucoup plus élevés, rendant les pays asiatiques plus riches et l’Europe plus pauvre.
D’autres conséquences du conflit sont également une satisfaction visible de nombreuses ex-colonies, en Afrique et en Asie, de voir les puissances occidentales qui les ont colonisées il y a des années, entrer dans une lutte économique et géopolitique avec la Russie et la Chine. Ils se sentent soudain plus à l’aise pour rompre les liens avec ces pays occidentaux et établir des relations de confiance avec la Russie, la Chine et d’autres pays comme l’Iran ou l’Inde.
A quoi peut-on s’attendre?
Ce qui va se passer ensuite est bien sûr difficile à planifier, mais je crois que les tendances suivantes se produiront.
Premièrement, la partie militaire de la guerre en Ukraine durera certainement au moins toute l’année 2023. Les deux parties ont atteint un niveau de méfiance qui rend improbable une conclusion diplomatique. Comme mentionné au début de cet article, les deux parties ne doivent pas abandonner, car elles se battent pour deux systèmes incompatibles.
Si la Russie gagne en Ukraine, l’Occident réagira et intensifiera encore son effort, permettant éventuellement à la Pologne d’entrer dans le conflit. Dans ce cas, la Pologne deviendrait la nouvelle Ukraine et encore un an ou deux de destructions seraient nécessaires pour avoir un vainqueur. S’il s’agit de la Russie, d’autres pays européens pourraient être la prochaine victime, ou l’OTAN explose et capitule. Toutes les options sont possibles, car les deux camps sont prêts à se battre jusqu’au bout. Mais il y a un détail très important : contrairement à la Russie, les États-Unis sont prêts à se battre, mais seulement avec le sang et la vie des Européens, et seulement s’il n’y a pas de menace directe sur le territoire américain. Si la Russie prend le dessus sur le plan militaire, je m’attends à ce que les États-Unis se retirent des combats en Europe et activent des conflits alternatifs sur d’autres frontières de la Russie ou dans le Pacifique. En effet, les États-Unis ont la possibilité d’abandonner sans trop perdre la face, du style: les Européens ne veulent pas se battre, et ce n’est pas vraiment notre combat, nous voulions juste aider mais l’OTAN a échoué, désolé les gars mais nous devons y aller.
Sur le plan économique, nous voyons déjà que la Russie gagne, que les États-Unis ne perdent pas, mais que l’Europe perd beaucoup. La valeur réelle des chiffres du PNB apparaît également clairement. Un PNB plus petit comme celui de la Russie, mais comprenant une majorité de vrais produits et matières premières peut l’emporter sur un gros PNB comme celui de l’UE/US, fortement gonflé par des services de tous ordres, qui ne correspondent à aucune valeur concrete. La vie continue sans Facebook ni banques, mais elle s’arrête sans énergie ni nourriture.
Dans l’ensemble, je vois un perdant clair de tous les côtés, militaire et économique. Sur le plan militaire, une partie de l’Europe finira en ruine, à coup sûr l’Ukraine, et peut-être plus, selon combien de temps les Européens toléreront que des gens incompétents et arrogants comme Stoltenberg ou von der Leyen décident de leur avenir et de leur vie.
Dans l’ensemble, je pense et j’espère bien sûr que les globalistes perdront. Mais cela prendra du temps et 4 à 5 ans semble être une période raisonnable, vu les énormes changements en jeu, et je pense que le vainqueur sera certainement celui qui remportera la guerre économique.
On peut bien sur poser la question de l’option nucléaire. Des accidents peuvent arriver, mais je crois que les deux camps, même les plus enragés, s’arrêteront avant qu’une réponse nucléaire massive ne devienne une véritable option (j’espère que je ne suis pas trop optimiste là-dessus !). Cela ne signifie cependant pas que les missiles non nucléaires à longue portée ne peuvent pas être utilisés pour détruire des cibles militaires à travers les continents (pas des villes, car cela déclencherait des représailles nucléaires).
Nous devrions en effet être reconnaissants d’avoir cette dissuasion nucléaire. Sans cela, nous aurions déjà des missiles tombant sur Moscou, Varsovie et bien d’autres endroits!
À choisir entre ce que vous appelez le « modèle mondialiste » et le « modèle souverainiste », tous les deux imparfaits, le « modèle mondialiste » semble encore le moins imparfait. Un aspect important, absent de votre analyse concentrée essentiellement sur l’acquisition des ressources naturelles et énergétiques et la colonisation en filigrane, est la création de valeur ou de richesse ainsi que l’éducation des masses populaires. La Chine Communiste a parfaitement réussi sa transformation au cours des 50 dernières années, ce qui n’est pas le cas de la Fédération Russe, loin s’en faut. Autre aspect que vous négligez, la liberté de la presse, la liberté d’expression, les élections au suffrage universel, le multipartisme font aussi partie des valeurs d’une société. Le régime communiste Chinois ou le régime autocratique Poutiniste ne font pas rêver… Dès lors, faut-il se réjouir d’une éventuelle main-mise de tels « modèles souverainistes » sur le « modèle mondialiste » ?
Merci pour ce commentaire. Pour ce qui est de la comparaison entre le développement de la Russie comparé a celui de la Chine, j’ajouterai ceci:
– la Russie a subit 10 ans de traitement liberal sous Yeltsin, avec pour but de s’accaparer des ressources naturelles (par exemple suivre la carrière de Khodorkovsky). En 2000, la Russie était sur la voie d’une Saudisation accélérée, devant devenir un exportateur (avec une gestion US) de matières premiere et un importateur de bien manufactures fabriques ailleurs. Il a fallu une bonne décennie pour s’en remettre. La Chine a bien sur évité cela et a été par contre industrialisée de fait par l’occident en quête de main d’oeuvre pas chère. La Russie a utilise les sanctions US en 2015 et 2022 pour accélérer sa re-industrialisation, et les produits sont maintenant de bonne qualité, je peux en témoigner.
– pour ce qui est de l’éducation, ici encore les « traîtres » des années 90 ont aligne le système éducatif Russe sur l’occident, avec les memes résultats désastreux qu’a l’ouest. Cette situation est en train de changer rapidement et des elements du système soviétique sont re-introduits.
– enfin, pour la liberté de la presse, avec la concentration des medias en occident dans les mains de l’oligarchie, et des elections comme en France ou Macron est élu avec une très petite minorité des inscrits, je préfère ne pas commenter!