Luc Brunet – 29 janvier 2014
Pour la première lettre de cette année, je souhaite aborder un débat de société très sensible qui a fait grand bruit dans de nombreux pays en 2013, il s’agit de la possibilité pour la communauté gay/lesbienne d’accéder au mariage officiel et à la parentalité. En définitive, chacun de nous a son opinion personnelle sur ce que devrait être la place de cette communauté dans la société et cette lettre n’a nullement l’intention d’influencer les lecteurs en la matière. Mon principal intérêt aujourd’hui est d’aborder la question sur un plan social et statistique et d’essayer d’ouvrir la discussion à d’autres aspects de la vie sociale, qui ne sont pas assez – à mon avis – intégrés dans la confrontation parfois passionnée sur le sujet.
La valeur clé à débattre est en fait la valeur de la Famille en général, la capacité pour un couple de personnes à créer une entité socialement reconnue, complétée par un certain nombre d’enfants. Une telle entité existe depuis des siècles, dans certains cas non limitée à 2 adultes, comme dans les sociétés polygames, et son rôle fondamental est de créer un environnement raisonnablement stable pour permettre la croissance ou au moins le renouvellement de la population du corps social agrégé, que ce soit une tribu, un clan, un pays et, à un niveau supérieur, une civilisation. Chaque fois qu’un groupe d’organisations humaines entre dans une phase de grave diminution de population, la fin du groupe est proche. Dans le meilleur des cas, le groupe est assimilé par un groupe voisin plus dynamique et en développement rapide, dans le pire des cas, il dégénère simplement jusqu’à l’extinction. D’un point de vue anthropologique, un rôle majeur de la Famille en tant que groupe social est donc d’assurer le renouvellement et/ou la croissance de la population. Le reste est lié à des principes moraux et religieux qui varient d’une région du monde à l’autre et qui, en effet, perdent leur pertinence si la Famille ne remplit pas ce rôle et que le groupe social s’éteint. Si l’on regarde maintenant la situation de la natalité dans les pays développés, on voit bien que deux pays ont un problème spécifique, avec un taux très faible et toujours en baisse : le Japon et l’Allemagne. Les deux pays perdent encore de la population à un rythme important, seulement partiellement compensé par un allongement de l’espérance de vie, et cette compensation devient désormais très marginale. L’impact ne se limite pas aux rapports anecdotiques de publicités télévisées au Japon montrant plus de couches pour les personnes âgées que pour les bébés, mais influence également la politique dans les deux pays, étant par exemple une raison clé pour l’Allemagne de s’opposer fermement à toute mesure contre la crise de l’euro qui créerait un risque d’inflation, induisant ainsi un risque pour les retraites.
La même situation, bien que moins aiguë, peut être observée dans de nombreux pays développés, à quelques exceptions près comme les États-Unis et la France, entraînée par des taux de natalité élevés dans les communautés non blanches aux États-Unis, avec probablement la même chose en France, mais personne ne le sait exactement, les statistiques ne pouvant légalement comporter aucune indication de la communauté d’origine.
Mais les personnes qui défendent avec véhémence les valeurs familiales traditionnelles devraient accorder plus d’attention aux tendances générales du taux de natalité. Le modèle familial est attaqué par les valeurs sociales développées par les sociétés occidentales au cours des 30 dernières années, bien plus qu’il ne pourrait l’être par plus de droits accordés à la communauté gay/lesbienne, une très petite minorité en effet. L’une des principales évolutions de mon point de vue vient du développement rapide d’une culture purement matérialiste, orientée vers le consumérisme et promouvant des idéaux comme le luxe, la facilité, la beauté, la tendance, etc., même s’ils sont atteints grâce à des produits de qualité inférieure dans la partie la plus pauvre de la population. Les individus sont devenus plus égoïstes et irresponsables envers le reste de la société, abusant des « droits » que leur confèrent la démocratie et le libéralisme, tout en ignorant les « responsabilités » qu’ils ont vis-à-vis de cette même société. Avoir des enfants n’est pas une décision simple et fonder une famille implique beaucoup de responsabilités, et plus de gens qu’auparavant ne souhaitent pas se lancer là-dedans. Bien sûr, nous considérons ici les statistiques d’une communauté, et il y aura toujours des personnes sans enfants d’un côté et des familles avec 10 enfants de l’autre côté. Ce qui compte c’est la moyenne ! Mais de plus en plus, la majorité pense dans ce sens:
– des enfants ? Je ne veux pas troquer ma voiture de sport contre une berline ! jamais! dit l’homme
– des enfants ? qu’en est-il de ma carrière? et ma forme? jamais! dit la femme
Carrière, dit la femme… mais ne vous méprenez pas ici. Les femmes au travail et les enfants ne s’excluent pas si la société qui les entoure joue son rôle de soutien, comme des écoles maternelles abordables et disponibles, une aide financière pour les familles à faible revenu, etc. Un tel système a plutôt bien fonctionné en Europe à partir des années 50 jusqu’aux années 80. La baisse du pouvoir d’achat au cours des 20 dernières années a changé les règles du jeu, et la décision d’avoir un enfant de plus est devenue plus problématique.
Pour en revenir au Japon, le coût élevé du logement y joue un rôle important, et avoir une famille de 2 ou 3 enfants à Tokyo est impossible sans un niveau de revenu très élevé. En Allemagne, le logement est moins cher qu’en France, mais le manque d’écoles maternelles abordables a une forte influence sur le faible taux de natalité, combiné à une forte tradition selon laquelle ‘la mère doit s’occuper des enfants, pas un étranger’.
Mais en dehors des taux de natalité, le mariage en tant qu’institution a également perdu beaucoup de son prestige au cours des 20 dernières années. En France par exemple, plus de 50 % des enfants nés aujourd’hui sont issus de parents non mariés, et la tendance continue à se développer. La communauté gay/lesbienne nage en quelque sorte à contre-courant et revendique le droit d’accéder à une institution qui a perdu l’essentiel de sa valeur aux yeux d’une majorité de la communauté non gay, et le droit à la parentalité légale dans les sociétés où les enfants sont largement les bienvenus car ce sont de bons consommateurs. Poussons la logique jusqu’au bout : les manifestants pro-famille devraient bel et bien descendre dans la rue de concert avec la communauté gay/lesbienne ! Ils sont les seuls à s’inquiéter et à vouloir se battre pour la valeur du mariage et pour une vie avec plus d’enfants, alors que la majorité silencieuse (gouvernements compris) s’en fout ! Et oui, ce serait une bonne idée qu’ils manifestent ensemble contre la dégradation des systèmes d’éducation et de santé dans de nombreux pays, contre l’utilisation déloyale de l’argent public pour sauver des entreprises mal gérées, et bien sûr contre les parents, quel que soit leur sexe, qui trahissent la confiance de leurs enfants pour les négliger, les battre, les violer et parfois les tuer – voilà le vrai mal, ne perdez jamais de vue cela ! …